Le blog d'eve anne, Madrid.

 

Présentation1

Baiser..


Renverse-toi que je prenne ta bouche,
Calice ouvert, rouge possession,
Et que ma langue où vit ma passion
Entre tes dents s'insinue et te touche:


C'est une humide et molle profondeur,
Douce à mourir, où je me perds et glisse;
C'est un abîme intime, clos et lisse,
Où mon désir s'enfonce jusqu'au cœur...


Ah ! Puisse aussi t'atteindre au plus sensible,
Dans son ampleur et son savant détail,
Ce lent baiser, seule étreinte possible,
Fait de silence et de tiède corail;


Puissé-je voir enfin tomber ta tête
Vaincue, à bout de sensualité,
Et détournant mes lèvres, te quitter,
Laissant au moins ta bouche satisfaite !...


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 Si tu viens..


Si tu viens, je prendrai tes lèvres dès la porte,
Nous irons sans parler dans l'ombre et les coussins,
Je t'y ferai tomber, longue comme une morte,
Et, passionnément, je chercherai tes seins.
 

A travers ton bouquet de corsage, ma bouche
Prendra leur pointe nue et rose entre deux fleurs,
Et t'écoutant gémir du baiser qui les touche,
Je te désirerai, jusqu'aux pleurs, jusqu'aux pleurs !


Or, les lèvres au sein, je veux que ma main droite
Fasse vibrer ton corps instrument sans défaut
Que tout l'art de l'Amour inspiré de Sapho
Exalte cette chair sensible intime et moite.


Mais quand le difficile et terrible plaisir
Te cambrera, livrée, éperdument ouverte,
Puissé-je retenir l'élan fou du désir
Qui crispera mes doigts contre ton col inerte !


 

 

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L'étreinte marine...

 

Une voix sous-marine enfle l'inflexion
De ta bouche et la mer est glauque tout entière
De rouler ta chair pâle en son remous profond.


Et la queue enroulée à ta stature altière
Fait rouer sa splendeur au ciel plein de couchant, Et, parmi les varechs où tu fais ta litière 


 Moi qui passe le long des eaux, j'ouïs ton chant
Toujours, et, sans te voir jamais, je te suppose

Dans ton hybride grâce et ton geste alléchant.

 

Je sais l'eau qui ruisselle à ta nudité rose,
Visqueuse et te salant journellement ta chair
Où une flore étrange et vivante est éclose;


Tes dix doigts dont chacun pèse du chaton clair
Que vint y incruster l'algue ou le coquillage
Et ta tête coiffée au hasard de la mer

La blanche bave dont bouillonne ton sillage, L'astérie à ton front et tes flancs gras d'oursins
Et la perle que prit ton oreille au passage;

Et comment est plaquée en rond entre tes seins
La méduse ou le poulpe aux grêles tentacules,
Et tes colliers d'écume humides et succincts.

Je te sais, ô sirène occulte qui circules
Dans le flux et le relux que hante mon loisir
Triste et grave, les soirs, parmi les crépuscules,

Jumelle de mon âme austère et sans plaisir,
Sirène de ma mer natale et quotidienne,
O sirène de mon perpétuel désir !


O chevelure !Ô hanche enflée avec la mienne,
Seins arrondis avec mes seins au va-et-vient
De la mer, ô fards clairs, ô toi, chair neustrienne !


Quand pourrais-je sentir ton cœur contre le mien
Battre sous ta poitrine humide de marée
Et fermer mon manteau lourd sur ton corps païen,


Pour t'avoir nue ainsi qu'une aiguille effarée
A moi, dans le frisson mouillé des goémons,
Et posséder enfin ta bouche désirée ?


Ou quel soir, descendue en silence des monts
Et des forêts vers toi, dans tes bras maritimes Viendras-tu m'emporter pour, d'avals en amonts, Balancer notre étreinte au remous des abîmes ?...

 

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Le dangereux désir...
 

I

Viens ce soir sur la berge où rampent les eaux riches
De reflets isolés plus rouges que du sang;
La Seine a des profils sinistres de péniches
Et tout l'air des bas-fonds d'un Londres menaçant.


Je te tiens au poignet, mal vêtue et perverse,
Blonde, blonde!... et britannique terriblement... N'imagines-tu pas, dans ce vent plein d'averse,
Qu'il pourrait arriver un sombre événement ?


N'attends-tu pas de moi quelques mauvais absences
Où le geste brutal qui tourmente mon poing
Me jettera sur toi, pâle de jouissance,
Pour t’assommer à coup de caillou dans un coin ?


Qui sait si tel sursaut d'origines douteuses
Ne me fait pas un sang de garce ou d'assassin,
Ce soir, devant ce fleuve et dans cet air malsain
Où gronde la couleur des usines fumeuses ?


Pourquoi m'avoir parlé si longtemps de ton mal
Poétique et pervers de riche détraquée,
Sans voir quelle prunelle obscure d'animal,
Brillait, dans la douceur de mes cils embusqués ?


Ah laisse-moi! Va-t-en! Je me retournerai
Contre toi tout à coup, les yeux noirs d'anarchie,
Pour te frapper, pour t'écraser ce coeur doré
En face du malheur éternel de la vie !..

II
A quoi bon tout cela, puisque la vie est autre ?
Il vaudra toujours mieux n'avoir rien dit ni fait.
Ma colère subite et profonde d'apôtre,
Je l'oublierai, je la renierai, s'il te plaît.


Voici l'ombre odorante et la douceur des choses;
Je retombe dans les coussins dont j'ai médit.
Ah ! sombrer dans la joie et rouler dans les roses,
Et ne plus rien savoir que le bonheur du lit !


Penche-toi sur mes yeux où le regard trépasse.
Où te veut tout un long désir de velours noir.
Je m'abandonne et m'affaiblis, je me sens lasse
Contre tes seins vivants et tièdes dans le soir.


Que, lentes, la richesse et la douceur de vivre
Nous balancent au fond d'un suprême hamac
Et que notre âme en nous repose comme un lac
Jusqu'à l'heure aux yeux durs de se prendre et d'être ivres.


Comment me souviendrais-je encore du sanglot
Rauque et du cauchemar plein d'averse des berges,
Lorsque baignent tes bras, tes hanches, tes seins vierges,
Dans cette étoffe bleue et douce comme une eau ?


A genoux devant toi, toute blancheur, j'abjure
Les ténèbres qui nourrissaient mon rêve amer:
Je ne veux plus porter en moi comme une blessure
Que le génie ardent et profond de la chair !

 

Lucie Delarue-Mardrus

 

Furieusement...

 

Je veux te prendre, toi que je tiens haletante
Contre mes seins, les yeux de noirs de consentement ;
Je veux te posséder comme un amant,


Je veux te prendre jusqu’au cœur !…
Je veux te prendre !…
Ah ! rouler ma nudité sur ta nudité, 


Te fixer, te dévorer les yeux jusqu’à l’âme, 
Te vouloir, te vouloir !…
Et n’être qu’une femme 


Sur le bord défendu de la félicité !… 
Et m’assouvir d’une possession ingrate
Qui voudrait te combler, t’atteindre, t’éventrer, 
Et qui n’est rien qu’un geste vain d’ongle fardé
Fouillant de loin ta chair profonde et délicate !…

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Lucie Delarue-Mardrus (1874 - 1945) était une femme libre d'une grande beauté. Amante d'Impéria de Heredia, Natalie Barney, Valentine Ovize ('Chattie') et Germaine de Castro. Entre 1902 et 1905, Lucie Delarue écrivit des poèmes lesbiens qui retracent sa liaison avec Natalie Clifford Barney. Cette dernière les fit éditer en 1951 aux éditions Les Isles dans un recueil intitulé 'Nos secrètes amours'. Lucie et son mari Mardrus se sont séparés en 1915. Elle meurt le 26 avril 1945 à minuit. Jean-Charles Mardrus meurt en 1949.

 

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Sam 16 déc 2000 Aucun commentaire