Le blog d'eve anne, Madrid.

 

 

tn 22L'envol des libellules


 

Chapitre 2

 

 


           Prunelle, Reine-Claude Devallois de son vrai nom, était l'une des institutrices du bourg. Son surnom fut tout d’abord «Prune », et à la longue, «Prunelle », plus affectueux, plus intime, arriva dans le langage local. C’était peut-être aussi la reconnaissance d’un très joli regard d’un bleu velouté, qui la rendait plus attirante qu’aucune autre. Prunelle passait pour être un garçon manqué. Pourtant, il était difficile de confondre. Pensez-donc, toujours en pantalon, blouson de cuir, Tee-shirt bariolé, cheveux blonds coupés courts. Mais tout ce déguisement dissimulait quelques trésors, imaginables à considérer la tension des vêtements. Elle était célibataire, on ne lui connaissait pas de petit ami. Quoique bien des jeunes hommes du village se vantaient d’être des habitués de son physique avantageux, dont elle ne cachait d’ailleurs pas grand chose.
«T’as raison Duchuc, j’ min vaut voir Prunelle. »
Tcho-Phil avait beau être sauvage, l’occasion de voir Prunelle de près, le rendait tout tremblant d’émotion, voire d’incertitude. Il s’enhardit dans cette idée. Prunelle saurait ce qu’il faut faire. En réalité, il ne savait pas pourquoi, il ne la connaissait pas, ne lui avait jamais parlé, et sûrement, elle ignorait jusqu’à son existence. Alors pourquoi Prunelle ? Parce qu’elle était l’institutrice, donc elle devait savoir. Tcho-Phil ne pensait pas qu’il pouvait faire une erreur, Prunelle n’était peut-être pas aussi discrète que nécessaire dans une situation comme celle-ci. Mais n’ayant rien à se reprocher d’autre que ses collets, il ne voyait pas de danger. Pourtant, il faudrait bien, un jour ou l’autre, «avouer » ce qu’il faisait là. Mais cela ne lui est pas venu à l’esprit.
Il arriva devant l’école, tout près de l’étang Saint-Nicolas. Le logement de fonction était un petit studio situé au-dessus de la classe. Juste au dessus de la gravure fraîchement repeinte : « École des Filles » Il y avait belle lurette que la mixité avait tout changé, mais l’inscription était restée. Un retour possible ? On ne sait jamais…. Il n’eût pas à attendre, ni même à sonner, Prunelle sortait du bâtiment juste comme il arrivait.
«Bonjour Monsieur Gervais, Vous cherchez quelqu’un ?
–Heu, oui, non, enfin si, j’ voudrais vous d’mander queque chose. C’est Duchuc qui m’a dit de venir.
–Duchuc ?
–Oui, c’est mon copain, Paul Bertin y s’appelle. Mais ici, c’est Duchuc !
–Voulez-vous entrer ou on reste là ?
–Ben vous risquez d’attraper froid…
–Oui, entrons, que puis-je pour vous ?
–Voilà, je rel’vais mes collets, enfin je les cherchais dans la neige ; que voulez-vous, il faut bien vivre ! Déjà que les garennes s’ font rares….
–Oui, je le sais bien. Mais rassurez-vous, monsieur Gervais je n’irai pas vous dénoncer.
–Et en fouillant la neige, j’ai trouvé une morte !
–Une quoi ?
–Ben une morte, une femme morte quoi ! «Enterrée dans la neige ! »
–C’est incroyable, où l’avez-vous trouvée, quand? Qui est-elle ? Ça ne serait pas Fanta ?
–J’ sais pas qui c’est Fanta. J’ai trouvé la morte par hasard, à-ch’t’heure, sur le ballast, près du ch’min d’ fer. L’aurait pu être «écrabouillée » ».
–Fanta ? Fantine Tavernier, la fille de la pharmacienne. La pharmacie derrière la mairie C’est une amie, une excellente amie ! Mon dieu faites que ce soit une erreur !
–Ouais, p’t-ête ben, j’la connais pas. Mais comment savez-vous qu’ c’est elle, ça s’rait pas vous qui l’avez tuée ?  »
–Non rassurez-vous. Vous avez prévenu les gendarmes ? Pourquoi êtes-vous venu me trouver ? Vous n’avez pas fait de bêtise au moins ? Elle a disparu, on la cherche depuis plusieurs jours, ils l’ont dit à la télé.
–Ben non, en cherchant mes collets, j’ai vu un bout d’ tissu rouge qui dépassait…Et puis j’ai pas la télé.
–Il faut appeler les gendarmes tout de suite. Je vais leur téléphoner.
–Ben et pi mes collets alors ?
–Vous n’en parlerez pas ! Vous direz que vous vouliez trouver des champignons !
–Y m’ croiront pas, Y vont m’ mettre au cabanon !
–Mais non, si vous n’avez rien fait. Je vais vous accompagner, vous devez faire une déposition, je vous aiderai. Et puis non, on va aller au commissariat, j’y connais quelqu’un. »
A force de persuasion, Tcho-Phil accepta, et s’installa dans la Twingo. Prunelle s’installa au volant, et démarra la voiture, direction Amiens. Tcho-Phil se retrouva assis tout à côté de Prunelle, jusqu’ à sentir son parfum. Il se mit à la regarder, comme il n’avait jamais osé regarder une femme d’aussi près, de toute sa vie. Il détaillait la ligne pure de son profil, illuminé par la lumière bleutée du tableau de bord. Il trouvait que c’était très beau. Il ne savait pas, il n’avait jamais imaginé qu’une telle beauté pouvait exister.
Son regard s’arrêta sur le cou de la jeune femme, là où débutait le col du petit pull rose qui dépassait du blouson de cuir. Ce petit coin de peau attirait son regard comme la première merveille du monde. Il s’imagina que tout le parfum émanait de cet endroit précis, cerné par une petite boucle blonde. Il commençait à être mal à l’aise, il avait chaud soudainement, sa tête semblait serrée à hauteur des tempes, puis il sentit entre ses jambes tout l’effet qu’elle lui faisait. Le blouson était ouvert à moitié, et le pull rose était déformé par l’arrogance de la poitrine. C’était trop pour Tcho-Phil.
«Eh 
bien Monsieur Gervais vous ne dites rien ?
Vous avez perdu votre voix ? »
Prunelle ne semblait pas si bien dire. Ses paroles eurent au moins l’avantage de ramener Tcho-Phil au plus près de la réalité. Le malheureux était tout mouillé, il allait devoir rester comme ça jusqu’au moment de rentrer chez lui. C’est la première fois que ça lui arrivait. D’habitude, il lui fallait du temps et de l’énergie, pour en arriver là ! Mais sans qu’il puisse se retenir, c’était parti tout seul. Il découvrit ce qu’une femme pouvait faire à un homme. Il se dit que celui qui avait tué la pauvre fille, avait dû ressentir la même chaleur, la même douleur, et peut-être qu’il avait perdu la tête. Lui Tcho-Phil, il ne risquait pas de se laisser aller à de telles extrémités. Il en était sûr.
«Y von-t-y m’ garder ? »
Cette question suivait le fil de ses pensées, mais ses pensées étaient concentrées sur l’inconfort qu’il allait ressentir ces toutes prochaines heures.
«Mais pourquoi vous garderaient-ils ? Vous n’avez rien fait de mal ? Je suis sûre que vous ne pouvez pas faire de mal à une jeune fille. Vous êtes un homme bien, n’est-ce pas Monsieur Gervais ?
–Ben oui mad’moiselle, enfin j’essaie, j’crois, j’respecte les gens. Et j’m’intéresse pas aux filles, j’ai plus l’âge et j’ai pas le temps ! Et puis de toute façon, j’sais pas faire ! »
Il n’était pas plus fier que ça de prononcer ces mots là. Mais il ne pouvait quand même pas avouer qu’il avait joui, rien qu’à regarder un petit bout de peau parfumé !
Les phares de la Twingo éclairaient maintenant la grille du commissariat. Prunelle alla garer sa voiture au parking «Visiteurs». Très drôle cette pancarte ! Sans doute qu’ils reçoivent des touristes ! Prunelle prit les choses en main. Le planton qui les accueillit les écouta avec attention, dévisagea Prunelle, et remplit une ligne du cahier sur le bureau. Il regarda sa montre, et après un coup d’œil à la visiteuse, il nota l’heure exacte.
«Vous avez de la chance, le Capitaine est encore là. Patientez quelques instants, je vais voir s’il peut vous recevoir. »
Le Capitaine était en réalité une Capitaine. Elle arriva en trombe suivie de deux autres policiers, et déboucha du couloir en continuant à parler à voix haute à ses deux comparses.
Puis elle aperçut Tcho-Phil accompagné de Prunelle.
«Ah ! C’est toi Prunelle ? Que viens-tu faire chez les hommes ? ».
Et elle partit d’un grand et bruyant éclat de rire. Elle s’approcha, et sans arrière pensée embrassa Prunelle sur les deux joues, et commença :
«Dis-donc ça fait un bail que l’on ne s’est pas vues! Que deviens-tu ? Ne me dis pas que tu n’as pas le temps de m’appeler !
–Le temps, si, mais l’occasion.
–L’occasion c’est pour le Capitaine, ma poule, mais pour l’amie que je suis, pas besoin ! Donc, si je te comprends bien, c’est le célèbre capitaine de police que tu voudrais voir ? Tu as raison! Maigret à côté, c'est du pipi de chat!
–Ben oui, j’accompagne Monsieur Gervais qui a une histoire à te raconter.
–Hum, je présume que ce n’est pas une histoire pour s’endormir, venez dans le bureau d’à côté. Tintin, viens aussi ! Oh! Pardon Monsieur : Brigadier Quentin Dubreuil, accompagnez-moi je vous prie ! Excusez-moi, mais Prunelle et moi sommes comme deux sœurs, je me sens en famille. »
Puis en tournant la tête vers Prunelle :
«Il déteste que je l’appelle Tintin !! »
Le policier de l’accueil entra, et apporta le formulaire sur lequel il avait noté «au propre » les identités des «visiteurs ».
«Je me présente : Capitaine Zimermann. Christa Zimermann, un m deux n. Je dirige ce commissariat d’Amiens-sud.
»
Tcho-Phil raconta péniblement son histoire. Le Capitaine Zimermann l’écouta avec attention, le policier Quentin prenait des notes sur un calepin.
«Et toi Prunelle que viens-tu faire dans cette histoire ?
–Le chauffeur de Monsieur Gervais. J’ai simplement donné le conseil de venir te trouver.
–Et tu as bien fait. Quentin, rassemblez l’équipe, on y va tout de suite. Samu et médecin légiste, photo et tout le toutim ! Dites-moi, Monsieur Gervais, que faisiez-vous sur cette voie ferrée au risque de vous faire écraser par un train ? »
Tcho-Phil regarda Prunelle d’un air désespéré, quasi suppliant. Son caleçon mouillé, devenait insupportable. De plus, il avait maintenant une envie pressante. Il demanda les toilettes, un policier l’accompagna. Durant son absence, Prunelle avait renseigné Christa sur les craintes du braconnier.
«Ne t’en fais pas, on le connaît très bien, si on avait voulu l’empêcher d’exercer ses talents, il y a belle lurette qu’on l’aurait chopé ! Mais que veux-tu, au restaurant de la rue d’à côté, ils font une extraordinaire terrine de lièvre qui ne vient sûrement pas de chez Carrefour ! Et puis, le braconnage, c’est l’affaire des gendarmes. On a assez d’emmerdes comme ça !
«Ça va mieux Monsieur Gervais ? Dites-moi, c’est la bonne saison pour les lapins ? Non ? Et pour les champignons ? À quoi passez-vous votre temps ? »
Tcho-Phil était rouge comme une tomate.
«Ben heu ! Je bricole par-ci par-là !
–Vous avez raison, il faut vous occuper. Ne pas rester sans rien faire. Bon ils ont l’air d’être prêts ces gaillards, allons-y. Prunelle, tu montes avec moi. »
Et le convoi partit, Tcho-Phil dans la voiture de tête pilotée par Quentin. La scène de crime fut délimitée, et Prunelle partit en sanglot quand, à la lumière des projecteurs, elle reconnut Fanta. Christa s’approcha d’elle, lui enserrant les épaules.
«C’était une amie à toi ?
–C‘était plus qu’une amie. Je l’ai vue la semaine dernière. Je ne voulais pas y croire. Je pensais qu’elle avait fugué avec une autre. Nous avons eu un passage difficile.
–Je comprends. Inutile de raconter ta vie aux policiers. Je vais essayer de faire en sorte que ça reste entre nous. Pour moi ce n’est pas un problème, tout le monde sait au commissariat, que je n’aime que les femmes, et ça simplifie bien les choses. Mais pour l’institutrice du village, la pub n’est pas nécessaire. »
Pendant que les policiers s’affairaient autour de l’innocente victime, le Capitaine Zimermann continuait à questionner Tcho-Phil. Puis s’adressant à Quentin :
«Allez me chercher le maire du bled ; A c’t’heure-ci. Il est au bistrot de la gare. S’il n’est pas encore cuit, amenez-le au commissariat, on n’a plus rien à faire ici. Il faut maintenant avertir la famille. S’il est bourré, je vais être de corvée. !! »
«Capitaine ?
–Oui, qu’y a-t-il ?
–Regardez ce que nous venons de trouver sous le corps de la fille : Un collet ! »
Christa se saisit du collet, le regarda, fit coulisser le fil dans l’œilleton, et regarda Tcho-Phil.
«C’est à vous ?
«Ben ouais, mais ch’est pas mi qui l’o mis là, y aut pas d’ voyure ici ! »
–Il faudra quand même me donner de meilleures explications ! »
Et sur un signe de tête du Capitaine, Quentin invita Tcho-Phil à grimper dans la camionnette. Et l’enquête commença. Christa Zimermann n’avait pas voulu avouer à Prunelle qu’elle avait, il y a peu, profité des charmes de Fanta. Leur liaison n’avait pas duré, mais elle en conservait un souvenir ému. Il lui avait été difficile de cacher son émotion, au spectacle de la si belle poitrine de la jeune femme sans vie. Les fonctions qu’elle occupait lui avaient forgé un caractère bien trempé, mais il y a des situations où elle devait vraiment faire de très gros efforts pour surmonter sa douleur. D’aucuns se demandaient où elle allait puiser cette force qui la faisait vivre et animer ce groupes d’hommes. Ils n’étaient pas des gamins, loin s’en faut, et lui montraient un respect mérité. Comme elle l’avait pressenti, Christa eut le triste devoir de prévenir la famille. Ce sont des formalités inévitables dont on se passerait bien. Les questions seraient reportées à plus tard.

 

culdecoblanc

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Mar 12 déc 2000 Aucun commentaire