Le blog d'eve anne, Madrid.

                              

 

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LXII-La fin.

 

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Qu'est-ce que la vie, sinon une série de folies inspirées? 

George Bernard Shaw            

 

          Un peu plus de trois mois s’étaient écoulés. Trois mois où j’avais, je crois, commencé une mutation, qui n’était pas, au départ, si évidente. J’avais changé de métier, j’avais changé d’amours, j’avais changé de vie. Mais ce qui me paraissait plus important, c’est que j’avais aussi changé de futur. Autre conséquence, et pas des moindres, j’étais en train de donner à ma fille un avenir inattendu, de nouveaux espoirs, je lui offrais une aventure à vivre et j’étais sûre, qu’elle m’en serait éternellement reconnaissante. J’étais arrivée début Mai dans cette usine flambant neuve, et j’avais fait le trajet dans ma nouvelle voiture.
Compiègne, Margny, échangeur de Ressons-sur-Matz, autoroute A1, Roye, Amiens. Perdue dans mes pensées, je n’ai pas vu défiler les kms. Et j’étais devant l’usine 10 minutes avant huit heures. Première déception, je constatai que la moitié du personnel, au moins, n’était pas encore arrivée. Je sais bien que beaucoup d’entreprises ont adopté la « souplesse » des horaires, mais je n’ai jamais pris cela comme un progrès social, encore moins économique. Nahima arriva peu après pour ouvrir la porte des bureaux. Peut-être s’était-elle mise en beauté pour m’accueillir, elle avait un charme époustouflant, le magnifique sourire en plus. Puis arriva la Mercedes de Jocelyne, Louis ne l’accompagnait pas. Elle aussi était très élégante. Visiblement elles avaient soigné la présentation. C’était loin du jean's-débardeur de ma « négresse » adorée. Encore que sur elle, tout était une réussite.
Le café fut préparé un quelques minutes, et Louis arriva dans sa Twingo !! Le monde à l’envers. Ainsi commença mon éducation industrielle. Nous décidâmes alors quel serait mon emploi du temps, et les quelles seraient les activités les plus caractéristiques du métier qui devait devenir le mien. J’ai passé deux mois sans une seconde de répit. De l’atelier au bureau d’études, de la clientèle à l’administration, le service après vente, les séjours chez les clients, rien ne fut oublié. Même pas les nuits de Nahima. J’ai fait quantité de formations, dont la plus importante fut sûrement le bureau d’études, où j’appris en très peu de temps, et à l’étonnement général, les rudiments du dessin industriel et de la conception sur ordinateur. Bien sûr, ce n’était qu’un stage, mais je sus très rapidement lire un plan, et le modifier s’il le fallait. Le logiciel « Autocad » me passionna tant il était intuitif et précis. Je n’ai mis que quelques jours à décourager les machos de l’entreprise avec leurs allusions désespérément vulgaires.


Tout cela me semblait déjà très loin.


Il était 17h, j’étais au bord de la piscine, la chaleur était écrasante. La sierra commençait à se dissimuler dans les brumes vespérales. La campagne était minérale, et l’horizon vibrait, rendant la vision floue, indéfinissable, quasi improbable. La vie semblait arrêtée. S’il n’y avait eu Axelle et sa nouvelle amie s’éclaboussant de temps à autre dans le bassin, j’aurais pu croire que j’étais seule sur terre. Seule ? Non pas, il y avait la sculpturale Paola, qui était étendue à moins d’un mètre, sur un hamaca d’osier. Je ne la connaissais pas encore très bien, je l’avais rencontrée pour la première fois la veille. Elle était « de passage » pour quelques jours. J’espérais faire plus ample connaissance.
Il y avait deux semaines que nous étions arrivées ici. Mon grand étonnement est d’avoir réussi le miracle de me vider la tête, d’un passé pourtant récent, et qui m’avait tant apporté. Malgré les gens que j’aimais, malgré Maud qui avait eu du mal à cacher son désespoir. Je sais que mes filles ne l’oublieront pas, mais je comprenais sa douleur. Aurais-je un cœur de pierre qui me permette aujourd’hui ce détachement ? Je ne le pensais pas, j’avais simplement besoin de toute mon énergie pour reconstruire autre chose qui donnerait un but à ma vie. Et dans cette vie là, je n’aurai pas Simone pour me booster de sa vitalité si particulière. Nous avons quitté Compiègne avec notre remorque attelée derrière la Vel Satis. Le voyage fut un enchantement, d’un agrément inattendu. J’avais choisi l’itinéraire qui nous ferait traverser le Massif Central par les monts d’Aubrac. C’était plus long que par Bordeaux, mais quelle merveille! Nous avons passé la première nuit à Montauban. La seconde à St-Jean-de-Luz. Nous n'étions pas pressées. La remorque fut mise au garage, et l’esprit tranquille, nous avons pu savourer la quiétude océane jusque tard dans la soirée. Reparties dans la matinée, le GPS nous guida sans fausse note vers notre destination. Autre pays, autre planète, nous étions arrivées à Madrid dans l’après-midi, et une bonne heure après, on franchissait le porche de l’hacienda, ou de la finca, les deux termes s’emploient indifféremment. Ils sont en l’espèce, tous les deux aussi inappropriés.
C’était presque un village, vu l’espace occupé par cet ensemble. Il y avait un groupe d’habitations, où l’on trouvait plusieurs bâtiments très longs très bas, où le bois foncé semblait être le constituant principal. Plus loin, ce qui pouvait être un corps de ferme, avec de nombreuses constructions de toutes formes. Encore plus loin, un corral occupé par quelques bêtes à cornes. Le tout parsemé de bouquets d’arbres que je ne reconnaissais pas, plantés au milieu de gazons copieusement arrosés. On voyait quelques silhouettes traverser cet espace à cheval, mais quelques 4x4 étaient garés devant ce qui semblait être le bâtiment principal de la ferme.
Plus près de moi, le «Parador » cet ensemble hôtelier où nous avions élu domicile. Les Paradores, sont en Espagne, des hôtels de grand luxe, généralement situés dans des châteaux ou demeures historiques, aménagés avec un luxe de bon goût et beaucoup d’originalité. C’est Michèle qui m’avait recommandé cette adresse. Les propriétaires de cet endroit étonnant étaient de ses amis. A ce titre, nous fûmes reçues comme des amies, dans la « partie privée » de l’établissement. Le temps de trouver mes marques, je goûterai ici et pour quelques jours, les plaisirs du dépaysement total.
Michèle devait venir nous rejoindre ces jours prochains. Isabel était la directrice de ce Parador, (Propriété de l’état). Une jeune femme d’une petite quarantaine d’années, très typée Castillane, au regard sombre bien que pétillant. Une jolie femme comme je les aime, une beauté naturelle, un visage souriant bien qu’autoritaire. Elle a ce je ne sais quoi qui inspire le respect, et qui lui donne cette volonté réservée aux grands entrepreneurs. Quand Isabel s’exprime, on écoute, quand elle ordonne on obéit, et je supposais que sa compagnie devait être très recherchée. Le reste de la finca lui appartenait en propre avec son mari. Lui, c’est Marco. Un homme un peu plus âgé qu’elle, qui dirige la ferme et cette « ganaderia » très réputée, qui fournit aux arènes quelques centaines de Toros tous les ans. Cet élevage de Toros est complété par des élevages de chevaux, et de moutons et tous autres « élevages alimentaires » pouvant fournir le restaurant du Parador. Marco est un fort bel homme pas très grand, du genre trapu, à la force herculéenne. J’ai tout de suite remarqué que ses biceps étaient beaucoup plus volumineux que mes cuisses ! Isabel et Marco ont deux enfants, un garçon et une fille, le garçon plus âgé qu’Axelle, et la fille un peu plus jeune.
Expliquer comment nous nous sommes intégrées dans cette famille, est quasiment impossible. Nous avons été adoptées, sans difficultés, si ce n’était notre façon de parler l’espagnol, qui était loin de ce que l’on entendait dans cette région. Cela faisait sourire nos hôtes, mais ces sourires n’étaient pas des moqueries; ils étaient plutôt un encouragement à faire mieux. Je me jurai de faire de rapides progrès. En vérité, Axelle parlait presque mieux que moi. En tous les cas, merci à la belle Kiss d’avoir été un professeur efficace. A aucun moment la petite Axelle ne s’est sentie étrangère à son nouvel environnement. Je me promettais malgré tout de suivre un cours intensif, ne serait-ce que pour les expressions courantes, que l’on ne peut deviner, et qui vous font passer tout de suite pour l’étrangère inculte, si on les ignore.
Je devais prendre contact avec les autorités pour obtenir toutes les possibilités d’exercer mon métier dans le pays, et enclencher le processus d’obtention de la double nationalité si la possibilité existait, ce dont je n'étais pas certaine. Mais il me semblait que pour travailler ou s’installer dans un pays étranger, c’était une démarche logique. Mon objectif était clair, je voulais travailler en Espagne pour l’entreprise que je venais de quitter, en tant que commerciale, et pourquoi pas initier une recherche de sous traitance. Durant cette période je devais également apprendre les rudiments de la législation du travail, car en finalité, je comptais bien monter « mon affaire » dans ce pays.
Le surlendemain, je reçus un message de Michèle, annonçant son arrivée pour la fin de semaine. J’en étais très heureuse. Isabel décida qu’à cette occasion, elle allait organiser une fête qui rassemblerait ses amis, et les gens de la région « que je devais connaître ». Cela me fit un plaisir immense. Nous passâmes le temps d’attente à visiter la région, et principalement « El Escorial » qui est absolument incontournable. Puis la vallée de « Los Caïdos » (ceux qui sont tombés) aux martyrs de la guerre civile. Puis Marco mit à notre disposition un 4x4 qui nous permit de monter dans la Sierra. J’ai ainsi pu découvrir le barrage hydro-électrique, sur lequel mon père était venu travailler, quand il fit connaissance de ma maman. Tout cela déclencha en moi une vive émotion, plutôt inattendue. C’était en quelque sorte un raccourci, un retour aux sources, une boucle bouclée. Je décidai aussi de me rendre à Arganda del Rey, de l’autre côté de Madrid, pour chercher des descendants de la famille de ma mère. Je ne crois pas au miracle, mais au moins j’aurais essayé.
Pendant ce temps, Axelle avait découvert la Finca, ses toros, ses chevaux, tout ce petit monde qui s’activait autour des élevages. Marco mit à sa disposition un jeune cheval Alezan, et elle prit le goût d’accompagner les vaqueros dans leurs activités. Quelle ne fut pas ma stupeur quand je la vis chevauchant au milieu des toros avec les employés de la ganaderia. Plus aucun doute, Axelle était arrivée, elle avait trouvé son Paradis.
Michèle arriva le Samedi suivant en début d’après-midi. Elle avait un œillet rouge à la main. De la revoir me fit un bien extraordinaire. J’eus l’impression d’avoir balayé en une seconde tout le stress que je pouvais avoir accumulé. Michèle était là, le monde était à nos pieds. Elle n’avait pas changé. Légèrement bronzée, le visage d’une jeunesse incroyable, et cette coiffure que j’adore. Son sourire n’était pas forcé, elle paraissait, elle aussi, heureuse de me voir. Elle n’avait pas pris un gramme, toujours cette silhouette fine à la chute de reins prononcée, toujours cette petite poitrine délicieusement offerte dans un décolleté savamment étudié. Michèle, ma Michèle, je n’avais plus aucun souvenir qu’il y ait eu le moindre mot qui nous eut séparées.
J’avais comme l’impression d’avoir retrouvé une volonté de vivre, la même sans doute que j’avais ressentie lorsque j’avais quatorze ans, et que je la vis pour la première fois. Elle venait de descendre d’un 4x4 de luxe, que j’étais incapable d’identifier. Lorsque plus tard je lui demandai :
« C’est un Cayenne, un 4x4 de chez Porsche. C’est le premier livré en Espagne. Il vient du garage Porsche de l’avenue de Burgos, qui me l’a loué. J’ai pris ça pour faire baver Marco ! »
Pendant qu’elle parlait, je buvais du regard les mille détails de son visage que j’avais tant aimés. J’avais envie d’embrasser ses lèvres fines artistement rehaussées d’un léger trait de crayon. Je tombais en admiration en regardant ces 3 petites rides au coin des yeux, et cette mèche ondulée revenant sur le front. La couleur rousse un peu foncée, lui était restée, ou alors c’était pour satisfaire mes souvenirs. Je pensai effectivement que tous les détails de sa présentation avaient été étudiés avec énormément de soin.
« Mes compliments, tu es magnifique ! » lui dis-je. « Je suis comme tu m’as faite, comme tu m’as aimée. Je n’ai jamais voulu changer un iota.
–Ta réussite est quand même exceptionnelle.
–Tout, je te dois tout. Sans toi je n’aurais jamais su échapper à l’enseignement, Et je vivrais aujourd’hui d’une retraite de misère.
–Je n’y suis pour rien. L’enseignement nous a étouffées, et nous avons bien failli en mourir.
–Oui, bien failli, tu peux le dire. Mais tu as bien réussi aussi, tu as su gérer ta vie. Ta décision de venir ici, est un nouveau défi que tu te lances, et je suis certaine de ta future réussite. Tu m’expliqueras tes projets, et me raconteras tout, depuis que l’on s’est vues il y a un siècle. Entrons, Isabel doit m’attendre elle aussi ! Chère Isabel, si tu savais comme j’aime cette femme ! Combien je l’admire !
–Je crois l’avoir compris. Elle est faite d’un bois que l’on connait bien ! » C’est vrai qu’Isabel avait tout pour nous plaire. Elle avait une beauté typée qui ne concédait rien aux modes actuelles. Elle était plutôt grande, mince, une allure sportive et active, taille fine, bien cambrée, poitrine avenante. Cheveux remontés en chignon. Isabel était mariée, mère de famille, et visiblement très heureuse dans son couple, et dans sa vie de mère qu’elle assumait pleinement. Mais elle avait ce petit quelque chose en plus qui nous interpellait ; Elle savait regarder les femmes, de ce regard sans pareil, qui pénètre avec douceur les volontés les plus rétives. Isabel était de notre race, dans tous les mystères de sa vie. C’était une femme libre, volontaire, féminine jusqu’au bout des cils. Quand elle nous vit entrer dans le vestibule sombre, elle laissa éclater sa joie, et se jeta littéralement dans les bras de Michèle, qui ne fit rien pour l’éviter.
Je regardai la scène avec amusement. Aucune jalousie en moi.
Jalouse ? Je crois bien me souvenir que je ne l’ai jamais été. Sauf bien évidemment quand Marie-No s’est entichée de Jean-Marc. Donc je me mentais sans m’en apercevoir. Mais ce n’était pas grave. Michèle n’était pas n’importe qui. Elle était de celles qui sont inoubliables tant par sa personnalité, que par son audace naturelle, qui, tant de fois l’ont conduite à braver les institutions établies. La soirée ou la veillée, (la velada) fut organisée au salon d’été, sous les sarments de vigne en palissade. Des photophores particuliers étaient disposés un peu partout pour éloigner les moustiques très voraces en cette saison, et attirés par la proximité des animaux. Une ambiance tout à fait particulière, inattendue dans ce pays. C’était tout en douceur chuchotements, sourires et reflets dans les regards. La main de Michèle ne quitta pas la mienne.
La nuit, nous l’avons aimée ensemble. Comme une vie qui ne se serait jamais interrompue. Que d’amour, que de sincérité. Vingt-cinq ans de séparation se réclamaient de cet amour violent. Nous ne nous étions jamais quittées. Il y avait eu les autres ? Ce n’était pas certain. On avait laissé la lumière pour ne rien perdre de notre bonheur de nous retrouver. Nous étions deux femmes, nous étions dans la même vie. Nous étions amoureuses, nous nous sentions belles, nous étions dans notre toute première jeunesse. Je savais bien au fond de moi que cela ne durerait que quelques jours, mais si ces quelques jours nous procuraient encore vingt cinq années de bonheur, j’étais gagnante à tous les coups. J’avais rangé mes amours dans ma boîte à souvenirs, et je me réjouissais d’un futur à construire. Plus heureuse dans cette vision que je ne l’étais dans la réalité passée. C’était un pari fou. je m’étais forgée un destin pour ne pas sombrer dans l’habitude, dans la routine, dans la perfection accomplie.. Comme jadis, tout commença avec l’amour, son amour ; Et j’étais heureuse.

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tn Ombrages G 
Dim 22 avr 2007 2 commentaires

Une renaissance dans l'amour lumineuse et pleine d'espérance...

Comme est beau cet amour que le temps ne peut altérer

il me semble que vous avez vécu plusieurs vies...

J'aurais aimé lire la suite

Merci pour ce récit de votre vie si intense  et émouvant, qui est un merveilleux hymne à l'amour et à la beauté de la femme  

Baiser eve anne

Ondine - le 17/01/2013 à 23h01

Je ne pensais pas que vous iriez au bout de cette histoire. Finalement je ne sais pas si elle a été tellement originale. Les Tribades est le titre pour ces chapitres de Blog. Peut être sera-elle éditée, dans ce cas, le titre sera " Un passé simple" qui n'aura pas le côté érotique accrocheur des Tribades, qui est d'ailleurs un nominatif mal perçu. Il manque un chapitre dans ce volume, qui concerne une amie qui je crois, n'aimerait pas se reconnaître, simplement par modestie. Cette histoire s'est arrêtée il y a huit ans. Depuis, je vis en espagne avec beaucoup de bonheur.

J'ai aimé votre fidélité. Ondine, Si vous aimez ce que j'écris, lisez " Le testament de benjamin Briggs" suivi de "Les étoiles éteintes" Vous aimerez.

Et puis il y en a tant d'autres. Plus de 2000 pages, il vous faudra beaucoup de courage !!!! Toute ma tendresse Ondine...

 

eve anne

Votre histoire n'est pas originale, elle est extraordinaire! et mérite d'être publiée

Elle inspirerait un film magnifique...

Votre écriture sensible et passionnée dans l'érotisme rend vivante la beauté des femmes que vous avez aimées

Je trouve le titre "Les Tribades" beau et pas accrocheur. Il m'évoque un clan d'amours particulières et secrètes comme vous les avez vécues 

J'espère que vous le garderez

J'irai lire vos autres nouvelles 

Je suis heureuse de votre bonheur et vous souhaite les plus douces choses

Tendre baiser eve anne

Ondine - le 19/01/2013 à 13h34

Merci beaucoup Ondine, je vous souhaite un très beau week end enneigé. Vous ferez une "bonne femme" de neige en pensant à moi, comme je pense à vous. Baisers.....

eve anne