Le blog d'eve anne, Madrid.

 

 

tn 22Image: L'envol des libellules


 

Chapitre 5

 

 


          Chemin faisant, Christa pensait que l’enquête prenait un tour nouveau, et que la conclusion serait pour bientôt. Son esprit se laissa aller à ressasser des souvenirs récents. Pourquoi était-ce l’image de Charlie-Rose qui revenait dans son esprit ? Elle ne sut pas le dire, mais elle la revit avec cette allure de garçon très appuyée, ce pantalon de cuir serré à la taille, ce débardeur sans vraiment de relief, et ses cheveux roux très foncés presque noirs, coupés courts. Ce look était un peu ringard, mais il avait malgré tout quelque chose de profondément sensuel. C’est le secret des filles qui n’ont pas grand-chose pour elles, et qui parviennent à séduire, à être heureuses, à créer le bonheur d’une autre femme.
Christa constata avec étonnement que dans ses pensées, l’affaire en cours terminée, elle reprendrait sûrement contact avec Charlie-Rose. Elle en avait subitement l'envie. Finalement, les androgynes ont un petit quelque chose pas déplaisant du tout.
En arrivant dans la chambre de la clinique où reposait la victime, Christa eut un choc. La fille était étendue, les yeux fermés. Elle était blonde, les cheveux courts, et malgré la position allongée, la poitrine pointait nettement sous le drap remonté jusqu’au menton. Une perfusion était placée. En s’approchant Christa eut un grand soupir de soulagement. Un instant elle avait cru reconnaître Prunelle. Un interne arriva et se présenta.
«Elle est choquée, mais indemne. Elle a eu de la chance. Des griffes, sûrement parce qu’elle s’est débattue. Mais aucune trace d’autres violences. Elle en sera quitte pour une peur bleue.
–Merci docteur. Vous la gardez combien de temps ?
–La nuit devrait suffire, demain elle pourra sortir. Sa mère est
 dans le couloir si vous voulez… 
–Oui, je vais la voir. »
Christa laissa son numéro à la maman de la jeune victime. Puis elle alla rejoindre Quentin qui avait le téléphone collé à l’oreille.
«Des nouvelles de l’agresseur ?
–La fille a précisé que l’homme était cagoulé, ou peut-être était-ce simplement un passe-montagne, qu’il dégageait une forte odeur de ferme. Elle a déclaré qu’il l’avait immobilisée, il avait arraché sa culotte, et s’apprêtait à la violer. Elle a vu son sexe dressé, puis se ramollir en quelques instants. Le type était tellement décontenancé qu’il a relâché son étreinte, et elle a pu se sauver.
–Curieux, un violeur qui a des problèmes d’érection, ce n’est pas un spécialiste !
–En effet, la description m’a fait penser à l’homme qui a trouvé le cadavre de la petite.
–Tcho-Phil ? C’est vrai qu’il ne sentait pas très bon. Il faudrait chercher de son côté.
–C’est bon, j’ai envoyé Martin et Bernier le chercher.
–Tu as bien fait. Je vais revoir la fille. Reste là.
–Ok je garde la porte. »
C’est vrai qu’elle ressemblait à Prunelle. Même genre de fille, même coiffure, et se disant cela Christa souleva le drap. Elle était nue, du moins le haut du corps. Les seins étaient volumineux, et à voir leur tenue, la fille n’était pas très âgée. Christa la trouva belle. Elle vit cette balafre rouge qui traversait la blancheur de la peau, et ce bleu qui se dessinait sur le côté. Elle a dû bien se débattre pensa-t-elle. Elle remonta le drap et sortit. Quentin, à travers la vitre, n’avait rien perdu de la scène. Il avait suivi, amusé, les gestes de Christa mais ne s’en étonnait pas. Il savait que son chef était d’une curiosité irascible.
«J’ai oublié de vous dire : La fille promenait son chien. On n’a pas retrouvé le chien, et elle n’a pas su expliquer comment elle l’avait oublié.
–Il a du prendre un mauvais coup et il est resté sur le carreau, pauvre bête. »
De retour au commissariat, ils n’eurent pas longtemps à attendre. Martin et Bernier arrivèrent avec leur prisonnier menotté. Christa reconnut instantanément Tcho-Phil.
«Eh bien Monsieur Gervais, quelle surprise! Vous avez fait une bêtise ?»
Christa n’eût aucune réponse. Tcho-Phil semblait terrorisé. Le regard exorbité, le souffle accéléré, on avait l’impression qu’il allait tourner de l’œil. Il fut incapable de proférer la moindre parole.
«Mais qu’est ce qu’il nous fait là ? Mets-le dans la cabane, attendons qu’il se calme. Regarde il a du sang sur la jambe. Il a du être mordu par le chien. Appelle le toubib de permanence. Dis lui qu’il va crever, il se remuera le cul pour une fois !
–Tout de suite »
Christa était déconcertée. Elle regarda sa montre, pensa que Prunelle allait avoir fini sa journée. Elle partit pour la retrouver. Elle arriva dans le flot de la sortie de l’école. Il y avait là toutes les mamans, qui la regardèrent arriver avec méfiance, dans sa Peugeot "Police" bariolée. Prunelle était tout sourire au milieu de sa marmaille. Christa s’accouda à sa portière, et alluma une cigarette. Eh oui, elle avait repiqué au truc. L’envie lui était revenue en voyant Charlie-Rose dans son nuage de fumée bleue. Elle était furieuse après elle, mais elle trouvait que la cigarette donnait aux filles, l’occasion d’avoir des gestes et des attitudes particulièrement sensuels. Prunelle l’aperçut et lui fit un geste de la main. Christa s’approcha.
«C’est gentil de ne pas m’oublier, ton travail te laisse un peu de répit ?
–Pas exactement, ce n’est pas du travail, c’est du harcèlement ! On vient d’arrêter Gervais.
– C’n’est pas vrai ? Ce n’est pas lui ?
–Il semble qu’il ait agressé une autre fille. Elle est à la clinique choquée.
–Mon Dieu, je n’y crois pas, Il est si gentil…
–Pas tant que ça apparemment. Quand il était avec toi, comment s’est-il comporté ? Qu’a-t-il dit, qu’a-t-il fait ?
–Rien de spécial. C’est vrai qu’en y réfléchissant il m’a paru un peu gêné, pas à son aise, mais j’ai pris ça pour de la timidité, il ne doit pas voir des filles de près tous les jours, et puis la pauvre Fanta presque nue… Il a du être troublé ?
–En tout cas, tu as eu chaud. La fille te ressemble. C'est ton sosie. Bien qu’elle soit plus jeune. Je pensais qu’il avait peut-être confondu, et qu’il a cru que c’était toi. Tu lui as fait de l’effet, et quand il a vu que ce n’était pas toi, il a été troublé, il a débandé et la fille a pu se sauver. C’est une supposition.
–Tu crois vraiment ce que tu dis ? Il ne m’aurait jamais agressée, je l’aurais identifié, je me serais défendue.
–Oui on dit ça, mais il est costaud le bougre. Je vais convoquer un psy. Pour l’instant il est prostré, pas un mot à en tirer. Si tu as un peu de temps, on y va. Si mon raisonnement se tient, ça lui fera un choc. Ce que je ne conçois pas, c’est la raison pour laquelle il a lâché la fille. Est-ce parce qu’il a vu que ce n’était pas toi, et il a débandé, ou est-ce que c’est seulement parce qu’il a débandé ? Dans ce cas, il ne s’est peut-être pas rendu compte que c’était une autre fille.
–Et ça s’est passé où ?
–Aux étangs de Saint-Ladre, près du chemin de planches.
–Il aurait pu être aperçu, il y a toujours quelqu’un qui se balade par là-bas.
–Oui, on va chercher. On va passer par là. »
Elles prirent le chemin de la réserve, passèrent le « Pont Prussien » au-dessus de la rivière. C’était un endroit de promenade très agréable, où les promeneurs côtoyaient les cygnes, les canards et les oies bernaches. (celles que l’on ne trouve qu’au Canada) Le circuit aménagé partait sur la gauche. Elles descendirent de la voiture, et quelques pas plus loin tombèrent sur le chien étendu, apparemment sans vie. Christa appela la gendarmerie de Moreuil, pour qu’ils se chargent de la pauvre bête. Le chien n’était peut-être pas mort, simplement dans les pommes. En s’approchant, Christa constata que c’était une chienne. Curieux, à côté de la chienne, comme pour la protéger, un couple de colverts semblait monter la garde. Ils ne furent pas effrayés par l’arrivée des deux femmes. Elles n’eurent pas longtemps à attendre. Et l’attente ne fut pas si désagréable. Nonobstant la bête toujours inerte, le cadre était bucolique à souhaits. Plus de traces de neige, et un doux rayon de soleil déjà très bas sur l’horizon, faisait miroiter la surface de l’étang. Au milieu des eaux, une famille de cygnes profitait pleinement de la liberté qui leur était garantie. La réserve Saint-Ladre était en ce sens, une belle réussite. Assises sur le petit banc de bois, elles regardaient une famille de foulques qui s’enhardissaient à venir picorer à moins d’un mètre de leurs jambes. À l’entrée de la roselière, sur la branche d’un saule blanc (un saule têtard), un gorge-bleue sifflait son cri plaintif. Les gendarmes arrivèrent quelques minutes après. Au volant de la camionnette, une gendarmette chapeautée dont la queue de cheval était à peine dissimulée.
«C’est la grande Céline » précisa Christa, tout sourire en la voyant.
«Bonjour ma belle, comment vas-tu ? Il faut des cadavres de chien pour que l’on se retrouve ?
–Sans doute que tu ne penses pas souvent à moi. ?
–Bien sûr que si ma beauté, comment va ton jules? A quand le divorce ?
–C’n’est pas à l’ordre du jour, le jules va bien, il est en formation à Melun.
–Chic ! Alors, tu as du temps de libre pour moi ?
–Ben non, j’ai une petite fille tu sais bien ! Tu es toujours en manque à ce que je vois ? Pourtant tu as l’air bien accompagnée ?
–Oui très, pardonne-moi, je te présente Prunelle. L’institutrice du patelin.
–Bonjour Prunelle, Alors il est où ce pauvre chien ?
–Elle est là, tout à côté. »
Le second gendarme était déjà en train de l’examiner.
«Elle est morte. Elle a la nuque brisée apparemment. Il faut que le vétérinaire fasse un rapport, si c’est pour une enquête ?
–Oui, exactement.
–Bon, vous pouvez nous laisser, on s’en occupe, je vous ferai passer le rapport.
–Merci Brigadier. A bientôt Céline, embrasse la petite pour moi.
–Je le ferai. Tu viendras la voir un de ces jours ?
–Dès que ton mari sera de retour, sinon tu te laisserais tenter.
–C’est plus prudent en effet ! Bye Sois sage !! Méfie-toi, Prunelle, cette femme est dangereuse !»
Et Céline remonta dans la camionnette en riant aux éclats.
«Ça m’a fait plaisir de la voir. Cette fille est un amour ! Tu as vu ? Elle t’a tutoyée tout de suite. Ce n’est pas souvent. Tu as fait une touche.Tu la connaissais?
–Mais non! C’est une chouquette aussi ?
–Ça dépend des jours. C’est quand elle a envie. Elle est très douce, très câline. Elle est très mince et sans beaucoup de poitrine, mais c’est une merveille de féminité. Elle a un mari sympa, un mec bien, elle l’adore, ils s’entendent à merveille. Il est Capitaine de gendarmerie.
–Pourvu que ça dure, les couples hétéros ça ne dure jamais. »
Christa arriva au commissariat en compagnie de Prunelle. Le médecin n’était pas arrivé. Elle donna des ordres pour le retenir en attendant ses instructions. Elle voulait vérifier sa théorie. Elles entrèrent dans la cellule de garde à vue.
En voyant Prunelle, Tcho-Phil se décomposa littéralement, il poussa un cri de bête, et se réfugia au fond de la pièce.
«Bon, j’ai vu ce que je voulais voir.
–Attends un peu… »
Prunelle s’approcha doucement de Tcho-Phil et l’appela à voix basse :
«Monsieur Gervais, Monsieur Gervais, n’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal…
–J’vous d’mande pardon….. J’sais pas pourquoi…. J’ voulais pas être méchant….C’est vot’ chien qui m’a mordu…. R’gardez ma jambe… »
Un policier fit un signe à Christa, le médecin était arrivé. Les deux femmes sortirent.
«Bonjour Monsieur, examinez-le pour savoir s’il faut l’hospitaliser. Il a été mordu par un chien il lui faut une piqûre antirabique pour commencer. Nous avons ce qu'il faut si nécessaire. Ne le faites pas parler! Il faut qu’il soit assisté. Un Psy de la maison s’en chargera. Allez-y.
–N’ayez crainte je connais mon métier !
–Sûrement Docteur, mais vous savez à quel point on doit respecter les formes. Sinon, on est aussi coupable que les coupables, et quelques fois bien plus.»
La blessure de Tcho-Phil se révéla beaucoup plus grave qu’il n’y paraissait au premier abord. Il fallut le conduire aux urgences, la plaie n’était pas jolie à voir et l'os était visisble. Tcho-Phil devait souffrir horriblement. Plus besoin de chercher ce qui a fait débander cet apprenti violeur. L’ambulance partie, Christa constata que si les filles se faisaient plus souvent accompagner d’un chien pour leurs balades, leur footing, ou leurs folies dans la nature, il y aurait moins de drames.
«D’ailleurs, il devrait y avoir des chiens dressés exprès pour ça. On veut faire un footing, on loue un berger allemand pour l’occasion. Pour un euro on a la vie sauve. Ça vaut le coup non ? Je me lancerai là-dedans pour ma retraite.
–Tu as raison Christa, tu as toujours des bonnes idées. T’en aurais pas une pour ce soir ?
–Si, j’irai bien faire un slow frotte-mimie avec une super nana !
–Si tu en trouves une !!!
–Mais elle est toute trouvée !! . J’ai encore à faire. Prends ma voiture au parking. Tiens voilà les clefs. Tu me prends chez moi vers 21h ça te va ?
–A merveille.»

 

culdecoblanc

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Sam 9 déc 2000 Aucun commentaire