Le blog d'eve anne, Madrid.

 

 

tn 22Image: L'envol des libellules

 

Chapitre 9

 

 


          «Où sommes-nous ?
–A Saint-Sauflieu! C’est un bled sans intérêt. Quelques beaux coins de nature, mais très peu. J’ai construis ici, il y a une dizaine d’années, parce que j’y ai trouvé un terrain avec de grands arbres à profusion. Un ancien parc sans doute. J’ai payé ce terrain trois fois rien, personne n’en voulait. Il y restait une grange, dont les murs ont servi de base à la construction de la maison. Je n’y connais pas grand monde, et j’y suis très mal considérée. Je suis en procès avec mes voisins. Visiblement on me prend pour une fille de mauvaise vie. On doit me traiter de pute sous le couvert. Et ils font tout ce qu’ils peuvent pour me faire partir. Et là, ils sont mal tombés !
–Alors, s’ils me voient, ça ne va pas arranger les choses.
–Je m’en contrefiche, pour t’avoir avec moi, je suis prête à faire la guerre à tout le monde.
–C’est gentil ce que tu me dis-là, j’espère ne pas te décevoir. »
–Entre, veux-tu ? »
Charlie tenait la porte avec le sourire. Dès l’entrée Christa sentit qu’elle allait en prendre plein la vue. Et c’était rien de le dire.
«Mais c’est magnifique, c’est à toi tout ça ?
–Oui, la maison, le terrain, l’étang et le petit bois derrière. La piscine est en révision. Mais ce n’est pas la peine d’imaginer je ne sais quel trafic ! Tout cela me vient d’un héritage. Malgré mon look limite, je suis une fille profondément honnête. Le look c’est pour faire marcher ma boîte, sinon je suis très branchée vieilles poutres, cheminée et vielles dentelles.
Talons hauts et tailleur Channel, plutôt que jean’ et baskets.
–Et de qui as-tu hérité ? Tes parents ?
–Non, mon mari. Et rassure-toi je ne l’ai pas empoisonné. Il est décédé dans un accident d’avion, à Glisy. Un avion de tourisme piloté par l’un de ses copains, un sale con.
Je suis veuve depuis cinq ans. Mais j’ai toujours été lesbienne. Je me suis mariée pour ne pas être oubliée. Mais pas par amour. Un monsieur est tombé amoureux d’une fille aux allures de garçon, qui n’avait rien pour elle, sinon de beaux yeux et un beau cul. Il y a des hommes qui n'aiment les femmes que pour ce qu’elles ont de commun avec les hommes. Il devait être pédé sans doute. Ou alors a-t-il cru que j’étais un garçon aux allures de fille. Mais il était sincère, agréable à vivre, galant et amoureux. Indépendamment de sa belle situation, il a réussi à se faire aimer. Il me manque énormément.
–Mais pourquoi penses-tu que je pourrais avoir des doutes ou suspecter quelque chose ? Ce n’est pas comme ça que je fonctionne !
–J’ai l’habitude que l’on me prenne pour une radasse.
–Je n’ai jamais eu de telles pensées. Les radasses, je les connais et je les détecte à dix kms.
–J’ai fait des études de lettres, puis de droit. Droit commercial. Je suis avocate de profession, mais je me faisais tellement chier dans ce métier que j’ai tout plaqué. J’ai revendu le cabinet paternel, et avec l’argent, j’ai acheté ce bistrot.  Je voulais en faire un restaurant. 
Sans le vouloir vraiment, c’est devenu un bar à filles, mais je ne m’en plains pas. Sans doute que je ne plais qu’aux filles, et ça, tu vois, ça me rassure.
–C’est vrai que tu plais aux filles. Toutes celles que je fréquente disent du bien de toi.
–On doit fréquenter les mêmes ! Tu veux un scotch, autre chose ?
–Un scotch je veux bien, et après tu viens t’asseoir près de moi…
–Bien sûr, c’est pour ça que tu es venue, je présume.
–Tu présumes bien. Depuis que je suis venue au bar avec Prunelle, je pense à toi, et j’y pensais de plus en plus ces derniers temps.
–Prunelle et ses jolis seins…Je voudrais bien faire un pas de deux avec elle. Elle est vraiment très belle cette fille, je l’adore.
–Oui, moi aussi, elle est d’une douceur étonnante, toujours souriante, elle est généreuse, elle se donne sans arrière pensée. C’est un bon coup.
–Moi je n’ai pas de gros seins, même pas de petits, d’ailleurs, mais je sais être douce aussi.
–On va voir ça. »
Entièrement dévêtue, Charlie était magnifique de proportions. Bien sûr, ce qui sautait aux yeux c’était le dessin des muscles qui se laissaient deviner discrètement sous une peau fine et douce, légèrement hâlée. Les abdominaux agréablement saillants, sans doute pour les caresser un à un, les épaules bien formées, les cuisses longues et bombées, et les fesses rondes et haut perchées.
Pas de poitrine ? Si, elle avait de la poitrine, mais les seins petits et fermes s’inscrivaient parfaitement dans ce corps équilibré de partout. Des pectoraux ? Non, il s’agissait bien se seins aux aréoles foncées et aux tétons provocants. Une merveille de la nature. Beauté amplifiée par un bas ventre bombé, finement épilé, aux lèvres parfaitement fermées. Christa était stupéfaite, Charlie souriait de son étonnement.
«Je te plais ? Pas assez féminine à ton goût ?
–Tu es parfaite je suis dans tous mes états, si je m’attendais…Tu caches bien ton jeu !
–Je ne plais pas à tout le monde. Il y a beaucoup de filles qui aiment les rondeurs. Mais à toi, il était important que je plaise.
–Oui, mais moi je suis une fille ordinaire. Comme toutes les autres. Des fesses, des nichons, des bourrelets par-ci par là, pourtant, ce n’est pas faute de me remuer le cul ! De l’exercice ? C’est tout le temps.
–Et tes collègues de travail, ils te draguent ?
–Pas vraiment. Ils savent tous que je suis une choute. Je les envoie paître. Sauf il y a deux jours, où j’ai fait une pipe à mon adjoint. J’étais complètement bourrée.
–Tiens donc ! Toi ? Une pipe ? Et tu aimes ça ?
–Pas vraiment, ça fait des années que je ne l’avais pas fait, mais là, le mec il en a une superbe, et il m’en a mis partout.
–Tu n’as pas avalé ?
–Si, j’ai avalé ce que j’ai pu, mais ça a débordé. J’en avais plein les seins, plein la figure.
–Tu as aimé ?
–Ça ne m’a pas déplu, mais je n’y reviendrai pas pour autant ! D’ailleurs, ce qu’il voudrait c’est me tirer à fond. Mais avec l’engin qu’il a, j’hésite. Si je ne peux plus m’asseoir pendant deux jours. . . .
–Moi c’est ce que je préférais avec mon mari, et lui aussi. Il me prenait par derrière, comme ça j’avais les sensations, mais pas le spectacle de me faire prendre par un type. Ma titoune, c’était réservé aux filles. Mais si tu as envie, je te le ferai moi ! J’ai le matos, on ne sent pas la différence. Mon mari aimait ça aussi.
–Pourquoi pas, viens m’embrasser. »
Quand, au sortir de la magnifique salle de bains, toute en lambris de teck, elles se regardèrent côte à côte dans le miroir, l’envie fut irrésistible. L’attente était forte, et le désir impatient. Si forte que le contact des corps fut un jaillissement de sensualité inattendu. Les parfums se mêlaient dans un nuage de volupté qui les fit sombrer dans une brume de plaisir intense. Christa et Charlie, la rencontre improbable se produisait, avec tout le potentiel amoureux préservé. Peut-être que ces amours étaient programmées dans les gênes des deux femmes, peut-être était-ce simplement un immense besoin d’abandon ou de générosité. Elles firent l’amour comme celles qui découvrent la douceur d’une hanche, la fragilité d’un sein, le parfum des calices. Elles s’éveillèrent à des sensations inconnues, inimaginées, seulement rêvées, tant de fois désirées, attendues dans un vague désir d’absolu. Cela dura, des heures, des années, peut-être une vie complète, quand soudain les forces vous quittent et que les sens s’endorment épuisés. Christa avait un peu froid, c’est ce qui la réveilla. Dans un rayon de lune elle regarda le corps gracile de son amante. Elle dormait sur le côté, et sa hanche pâlement illuminée, s’arrondissait au dessus d’une taille de guêpe. Dans cette position, le sein avait repris une dimension, une forme féminine, et le visage souriait. Dans son sommeil, elle devait continuer l’étreinte tant attendue, celle qui lui avait apporté un souffle de bonheur céleste. Elle la trouva belle. Les yeux étaient fermés par de longs cils à peine recourbés, les lèvres boudeuses semblaient quémander d’autres baisers. Et puis ce ventre, cet appel aux caresses, se terminait dans le mystère des cuisses resserrées. Charlie était très belle, d’une beauté sereine, inattendue, d’une féminité profonde, d’une sensualité mutine. Christa tira le couvre-lit et la recouvrit avec douceur.
«Je t’aime ma tendresse… »
Elle s’enroula dans la couverture, s’assit sur le lit les genoux sous le menton, et alluma une cigarette. Christa était heureuse, elle avait fait l’amour avec une femme qui la désirait tellement, secrètement, follement. Elle avait été aimée passionnément, et cette sincérité lui laissait une chaleur inconnue dans tout le corps. Charlie-Rose, femme de mystères. Depuis quelques années elle la voyait souvent derrière son bar, vissée sur son tabouret dans son nuage de fumée bleue. Christa s’y rendait à chaque fois qu’elle avait envie d’un slow, ou bien quand elle voulait simplement faire une nouvelle rencontre. Charlie-Rose croisait son regard avec ce qui paraissait être un triste sourire. Cette femme lui semblait pleine de non-dits. Son calme était surnaturel, sa discrétion totale. Tellement sans reproche, qu’il semblait à Christa qu’elle avait quelque chose à cacher. Maintenant elle savait pourquoi. Elle avait compris que c’était une femme plutôt bourgeoise qui tenait le bar le plus branché filles, de la capitale picarde. Le bar
«Avec deux L » simplement pour l’amour des femmes. Le nom devait se lire les «Avec deux Elles », mais bien peu de gens ont fait la traduction. Charlie-Rose avait le complexe de ne pas être un canon. La musculation était sans doute le moyen d’être comme elle était, sans être moche, sans être maigre, sans que sa masculinité prenne le pas sur sa personnalité. C’était une façon de s’aimer soi-même. Christa allait vers l’admiration. La timidité de Charlie-Rose avait fait qu’elle était passée à côté d’une vie de bonheur. Par toutes les filles qui parlent d’elle avec des éclairs dans les yeux et les lèvres humides, Christa savait qu’elle était grande consommatrice de corps féminins, mais elle ne savait pas si elle avait une préférence, une régulière, une fiancée ? Charlie-Rose bougea légèrement, et se réveilla.
«Ha, tu es là, je rêvais de toi.
–Et moi je pensais à toi.
–Tu sais, Charlie Rose, ce n’est pas mon vrai nom. C’est mon nom de «scène ». Si je puis dire. Mon vrai nom c’est Annette. Annette Roze puisque «Roze » est le nom de mon mari. Je suis madame Roze comme il y a une madame Claude. Mon mari s’appelait Charles. J’ai pris son nom complet comme prénom, pour ne pas oublier que je lui dois tout. –Tu es une femme fidèle ?
–Aussi fidèle que le sont généralement les lesbiennes. Je crois que la fidélité vient toute seule quand on a trouvé ce que l’on cherche. Quand un seul grain de beauté emplit toute une vie, je crois que l’on devient fidèle naturellement.
–Tu as sûrement raison. Je voudrais t’écouter pendant des heures
–Je n’ai pas grand-chose à dire. Je crois même que cela fait des années que je n’avais parlé autant.
–Il est déjà 6 heures du mat, je vais t’obliger à te lever tôt pour me reconduire, à moins que tu préfères que j’appelle un taxi ?
–Tu rigoles, un taxi ne trouvera jamais la route de ce bled ! Je me lève, je te laisse la douche, je vais préparer le p’tit dej, je te reconduis et après je vais faire mon footing. Et après seulement, la douche.
–Tu cours souvent ?
–Tous les jours 10 kms à peu près. Des fois moins, quand il pleut.
–10 kms ? Elle est folle ! Tu ne cours pas seule j’espère ?
–Non, du moins au départ, je ne connais personne qui tienne la distance.
–Je ne cours pas seule dans la nature. Si je suis seule, je cours en ville. Sur les boulevards. Je suis partante au Marathon de Paris. Un jour je gagnerai celui de NY.
–Fais quand même attention à toi, je ne voudrais pas qu’un jour ce soit toi la victime, comme Elzéanne et Fanta.
–Ah oui, Elzéanne, je la connais, et sa sœur aussi, un sacré numéro !
–Oui, j’ai vu ça, elle n’a pas froid aux yeux ! Bon, je passe sous l’eau.
–Thé ou café ?
–Comme toi ! »
Il faisait suffisamment jour, pour voir en repartant, les proportions de la chaumière. C’était une merveille.
Arrivée au commissariat, elle fut accueillie par une effervescence particulière. Quentin la vit venir, et lui dit :
«Ça continue. Flora-Jane s’est suicidée.
–J’en avais peur, mais je pensais que la présence de sa fille serait suffisante pour la dissuader. Où était-elle ?
–Partie faire des courses à Auchan.
–Tu as envoyé quelqu’un ?
–On a été prévenus il y a à peine un quart d’heure. J’ai envoyé le SAMU et le labo. Je t’attendais.
–Qui a prévenu ?
–Le médecin qu’Eva-Line a appelé. Elle a cru que sa mère avait un malaise. La mort doit être toute récente car la fille n’y a pas pensé.
–Merde de merde c’est ma faute. Je l’aurais mise en cabane ça ne serait pas arrivé.
–Avec des «si » on ne va pas loin. C’est arrivé, c’est tout. La seule responsable c’est elle. Si elle s’est suicidée, c’est qu’elle avait une raison de le faire.
–Une raison ou des raisons. Allons-y.
Que quelqu’un prévienne le Juge. »
Christa grimpa dans la voiture de Quentin. Ils partirent par la rue Saint-Fuscien. Quentin voulut détendre l’atmosphère :
«Alors, tu as trouvé une fille ?
–Non, je me suis couchée de bonne heure.
–Moi, j’ai trouvé ce que je cherchais. C’était bien.
–Eh ben tant mieux, au moins quelqu’un de satisfait.
–Le type était super bien monté. J’ai ses coordonnées ; si tu veux en profiter..
–T’es con ou quoi ? J’en ai rien à foutre ! Ce n’est pas parce que je t’ai bouffé la queue, une fois, parce que j’étais pétée, que je vais sucer tous les pédés de la région !
–Comme tu voudras, j’essayais de te distraire de ta mauvaise humeur.
–C’est raté, et ce n’est pas le moment. Une grosse ! Quoi encore ? C’est bien le dernier de mes soucis!
–Bon ça va je ne dis plus rien !
–Pour dire des conneries pareilles, ça vaut mieux. Ferme-la ! »

 

culdecoblanc

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Mar 5 déc 2000 Aucun commentaire