Le blog d'eve anne, Madrid.

 

 

tn 22Image: L'envol des libellules


 

Chapitre 12

 

 


                                     « Eh ben, ça se complique ! Si je m’attendais à ça !
–Tu crois que. . .
–Je ne crois rien, il faut que je digère tout ça. Range l’enveloppe dans le coffre, n’en parle à personne ! Tiens, mets ça aussi dans le coffre. »
Et elle lui tendit le petit sac plastique contenant les cheveux ou les poils trouvés sur Flora-Jane.
« Je me demande bien quelle était l’élue pour ce voyage.
–Je le sais ! Je sais de qui il s’agit !
–Tu déconnes ?
–Non pas cette fois-ci. Mais on verra ça plus tard, allons voir Duchuc. A propos : Rabindranath Tagore est un poète Indien, il a eu le prix Nobel de littérature, je crois. Je l’ai étudié en fac, ce qu’il écrit est magnifique.
–Si tu le dis. . . »

«Bonjour Monsieur Bertin. Nous vous avons cherché hier toute la journée.
–J’ai été très occupé. Je me suis efforcé de me débarrasser de toutes mes bêtes. Douze coqs, quarante poules cinq canards, six oies et mon chien. Il reste une dizaine de lapins qui partiront aujourd’hui. Vous comprenez, il fallait que je ferme la maison !
–Pourquoi ? Vous allez quelque part ?
–Je pense que vous allez me garder, alors, il fallait bien que je fasse un peu de rangement avant de fermer boutique.
–L’enregistrement est en place et la bobine tourne Monsieur Bertin, voulez-vous appeler votre avocat ?
–Je n’en connais pas.
–Nous allons demander à Maître Desnoyelles de vous assister, il est dans la pièce à côté. »
L’avocat entra et se présenta. Paul Bertin accepta sa présence en tant qu’avocat désigné.
« Brigadier, voulez vous remettre la bobine au début, nous recommençons les présentations. Monsieur Bertin, tout ce que vous direz sera enregistré.
–Oui, je sais tout ça.
–On commence par écouter votre histoire, après nous poserons les questions.
–Oui, cela commence il y a déjà quelque mois.

"Fantine Tavernier travaillait avec sa mère à la pharmacie. Elle était vendeuse. Elle était gentille, tout le monde l’aimait bien. J’y allais souvent, parce que je souffre de goutte et de douleurs dans les reins. J’ai un traitement contre l’acide urique principalement. Fantine me servait toujours avec le sourire. Un jour je lui ai demandé de coller une affichette en bas de sa vitrine pour trouver du jardinage à faire, ou des travaux de cour. Quand je travaillais à la SNCF, je m’occupais de l’entretien des aiguilles,, alors j’ai toujours travaillé dehors. Là, j’ai du temps, et je n’ai pas une grosse retraite. Avec mes bêtes et des jardins, je m’en sortirai. Elle m’a répondu que ce n’était pas la peine, elle connaissait une cliente qui justement cherchait un homme de main pour faire les gros travaux de sa maison. Alors elle m’a dit qu’elle allait la prévenir, et demander un rendez-vous pour moi. Elle a fait comme promis et deux jours après j’avais l’adresse de la dame, à saint Fuscien. J’y suis allé, et la dame m’a reçu poliment. Elle m’a expliqué, fait visiter, et le lendemain j’ai commencé à défricher le jardin qui n’avait pas été travaillé depuis longtemps. Au début j’y suis allé souvent, il y avait beaucoup de travail. Et puis après, un peu moins.
Mais la dame aimait bien ce que je faisais, elle m’offrait du café, elle me faisait des casse-croutes, elle me proposait du vin, mais je n’en buvais pas, à cause de ma goutte. Moi aussi, je l’aimais bien cette dame-là, j’avais du mal à m’en aller des fois. On n’était pas du même monde, mais je rêvais la nuit que l’on vivrait ensemble.
Je remarquai que Fantine Tavernier venait souvent la rejoindre. Du jardin, je reconnaissais sa voiture. Mais ça ne me regardait pas. Un jour, je n’avais pas pu finir le soir, alors je suis revenu très tôt le matin. La voiture de Fantine était encore là, ou déjà là. Mais j’ai plutôt pensé qu’elle avait passé la nuit là, car il y avait plein de rosée sur les vitres. J’en ai conclu qu’elle avait passé la nuit chez la dame, et puis c’est tout. Quelques jours après, au lieu de m’appeler Monsieur Bertin, elle s’est mise à m’appeler Paul, comme si j’étais devenu son ami. Cela m’a fait tellement chaud au cœur que j’ai failli étouffer.
C’est vrai que je ne suis qu’un cantonnier, mais j’ai de l’instruction, je suis doux, et poli. Et je regardais madame Flora avec un œil différent. Et puis un jour elle m’a dit :
" Quand vous me regardez comme ça Paul, je sais bien à quoi vous pensez. Je ne vous en blâme pas, mais en ce moment je suis dans une situation qui m’empêche de vous faire des promesses. Ou de ne pas en faire. Mais ça passera sans doute, et alors, je vous dirai si je suis d’accord pour que l’on se rapproche un peu. La vie est difficile pour une femme seule."
J’étais stupéfait, je ne l’avais pas senti venir. Pour moi, je pensais que si elle était seule, c’est qu’elle le voulait bien. Une femme de son rang ne pouvait pas ne pas avoir de propositions intéressantes d’homme plus riches que moi. Et puis elle m’a demandé de faire de plus en plus de choses dans la maison. Des peintures, décaper le toit, réparer la grange, laver la voiture, vérifier les pneus. En réalité, elle voulait que je passe plus de temps avec elle, je l’avais bien compris. En plus, elle était généreuse, et elle me donnait tous les quinze jours une enveloppe avec des euros tout neufs.
" Les beaux billets, disait-elle, on les dépense moins vite. "

Je lui proposais souvent un lapin, une pintade, pour ses repas du dimanche avec ses filles. La seule chose qu’elle m’avait interdite, c’était de voir ses filles. Si elles arrivaient à l’improviste, je devais me cacher. Mais elles ne venaient jamais. Puis soudain, son visage s’est transformé, elle est devenue d’une tristesse épouvantable, elle vivait les yeux baissés, c’est tout juste si elle me disait bonjour. Un soir, alors que je quittai la maison, j’ai croisé Mme Flora et Fantine qui sortaient de la Volvo. Elles étaient préoccupées, elles ne m’ont pas vu ! Elles sont passées à côté de moi comme des fantômes. J’ai entendu Flora dire à Fantine :
" Tu vas m’attendre ici, j’ai un rendez-vous chez le dentiste, je n’ai pas pu le remettre.
"A cette heure-ci ?
"Dans une heure à peu près, Il est surbooké, et ça ne peut pas attendre, et avec ce temps, je ne veux pas être mal prise ! Il faisait froid, il avait neigé, Fantine avait une parka rouge vif. Je ne sais pas pourquoi Fantine n’était pas venue en voiture. Elles sont entrées dans la maison, et j’ai repris le Kangoo et je suis parti. Le soir, tard, vers onze heures, je regardais par la fenêtre, les flocons qui dansaient devant l’ampoule au dessus de la porte. C’était comme les papillons en été.
Le téléphone a sonné. J’ai sursauté, ça n’arrive jamais que le téléphone sonne.
" Allo Paul ? C’est Flora-Jane. J’ai du faire une très grosse bêtise. J’ai besoin de vous. Venez. "
Je me demandais bien ce que c’était. Je ne pensais pas que Flora puisse faire des bêtises, mais si elle m’appelait, c’est qu’elle ne pouvait pas faire autrement. J’ai eu bien du mal à suivre la route de Boves à saint Fuscien. C’est pas loin, mais avec la neige, j’ai bien cru que j’allais y rester. Quand je suis arrivé à la maison, il n’y avait pas de lumières, tout était noir, j’ai cru un moment à une farce. Je suis entré, c’était ouvert. Il y avait une lueur comme une bougie, qui venait de l’étage. Je suis monté, et ce que j’ai vu était épouvantable. Fantine était sur un lit, à moitié nue, elle avait la poitrine dehors, le pantalon ouvert, et des traces de griffes sur le ventre. Un gros bleu était visible sur la tempe. Je regardais le corps le la fille, je n’avais jamais rien vu de pareil. Elle était belle comme une statue.
Flora avait du sang partout, elle avait l’air absent, elle était debout et regardait fixement la victime. Elle ne pleurait pas, elle était comme figée. Et puis elle s’est mise à parler. D’une voix bizarre.
" Je l’ai tuée Paul, je l’ai tuée. Nous nous aimions Paul, vous pouvez comprendre ça ? Des femmes qui s’aiment d’amour ? Elle est venue me dire qu’elle me quittait, et qu’elle allait partir avec une autre. Je ne sais pas ce qui m’a pris Paul, je savais qu’un jour ça finirait. Mais je l’ai tuée. Il faut m’aider. "
Sur la table de nuit, il y avait une boite en plastique, avec une seringue et des aiguilles. Une aiguille était sortie de la boîte, posée sur le marbre. Il y avait aussi une tâche de sang.
"Que voulez-vous que je fasse ?
"Ce que vous voulez. Je ne sais plus. Alors, j’ai fait ce qu’il y avait à faire. "
Paul Bertin s’arrêta comme pour reprendre son souffle, mais son regard restait fixe comme s’il revivait intérieurement ce qu’il venait de raconter. Bertin restait de longs moments silencieux. Ses lèvres remuaient comme s’il répétait intérieurement ce qu’il allait dire. Christa n’avait pas dit un seul mot. Tout ce qu’elle aurait dû imaginer, se déroulait devant elle comme un film à la télé. Elle, qui passe sa vie dans les bras des femmes, n’avait pas imaginé deux secondes que ces deux là avaient pu s’aimer. Pourtant elle savait que l’âge n’est jamais un obstacle dans les relations entre femmes. Et les femmes expérimentées sont très recherchées. Elle se mit à détailler le prévenu. C’était un fier gaillard comme on dit, un homme qui paraissait solide. Sa tenue et sa façon de parler n’était pourtant pas celles d’un rustre. Il paraissait cultivé, érudit. Il était calme et pondéré, et semblait ne pas être exempt de sensibilité. Quentin se leva et pris sur l’étagère à côté, où était posé l’enregistreur, une petite bouteille d’eau et un gobelet qu’il avança vers l’homme, toujours silencieux. Cela fit diversion dans son esprit, et d’un geste lent il prit la bouteille et se servit un gobelet d’eau. Puis lentement il reprit son récit :
"J’ai transporté le corps de la pauvre Fantine enroulé dans le drap dans ma camionnette. Une Renault Kangoo. De porter le corps de cette fille à moitié nue, a failli me tuer. Et puis je suis revenu dans la maison. J’ai entraîné Flora-Jane dans la salle de bain, je l’ai déshabillée, lavée. Je lui ai brossé les cheveux et je l’ai conduite dans sa chambre. Elle s’est laissé faire, sans dire un mot, sans faire un geste, comme si elle était gelée. Je l’ai couchée dans son lit. Elle avait le regard fixe, comme si elle regardait loin devant elle. J’ai éteint la lumière, fermé la porte, et je suis retourné dans l’autre chambre, où j’ai tout nettoyé, changé le linge tâché, rangé tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace du drame. J’ai fermé la maison et j’ai emmené avec moi le linge et les vêtements souillés de sang. J’ai repris la voiture, mais pas la petite route. Dans le petit bois à mi-chemin, il y avait sûrement des congères qui m’auraient bloqué. J’ai pris la grande route en repassant par la rocade. Qui bien sûr était dégagée. Je me suis rendu sur la petite route le long du chemin de fer, près de l’aiguille N° 3, et j’ai déposé le corps le long du ballast, en faisant ressembler la scène à un crime crapuleux. Mais je n’ai pas eu le courage de toucher le corps de la pauvre fille. Même morte elle était restée très belle. Je l’ai recouverte de neige, et avec la neige qui continuait à tomber, les traces seraient vite recouvertes.
J’ai pensé que Tcho-Phil trouverait le corps, c’est souvent là, qu’il va colleter. Puis je suis rentré chez moi, et j’ai brûlé le linge et les vêtements plein de sang dans la cheminée.. "
Paul Bertin s’arrêta une nouvelle fois et se resservit un gobelet d’eau.
A côté de Paul, il y avait Manon, la secrétaire, qui enregistrait frénétiquement en sténo toutes les paroles de Bertin. Il y avait bien le programme informatique, qui traduisait peu ou prou les paroles en texte, mais faute de mise au point délicate, c’était très approximatif. La sténo restait le moyen le plus sûr de transcrire une conversation. Après, il était facile de confronter le texte avec l’enregistrement. Du moins était-ce comme cela que l’on pratiquait au commissariat d’Amiens-Sud. Puis, encouragé par Christa, Paul Bertin reprit sa narration.

 

culdecoblanc

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Sam 2 déc 2000 Aucun commentaire