Le blog d'eve anne, Madrid.

 

 

tn 22Image: L'envol des libellules


 

Chapitre 18

 

 


          Le chef en question s’était réfugié dans son bureau et pleurait à petits sanglots, c’était une grosse déception, c’était comme toutes ces fois où quelque chose d’évident que l’on a voulu ignorer vous arrive en pleine figure. Quentin s’introduisit doucement, et posa sa main amicalement sur l’épaule de Christa.
« C’est comme ça que tu le voyais n’est-ce pas ?
–Oui, exactement, tu as été parfait.
–Le juge veut te parler.
–Là maintenant ?
–Oui, il est avec le grand patron, ils veulent te parler.
–Ça va être ma fête. Il ne manquait plus que ça. Il y a de la démission dans l’air. »
Christa fit un rapide passage aux toilettes, se regarda dans la glace et constata avec effroi qu’il n’y avait pas de solution. Elle prit au passage les lunettes fumées de Manon, et monta à l’étage.
« Bonjour capitaine, asseyez-vous. Le juge Douchet et moi-même sommes d’accord pour vous confirmer dans votre mission, et vous demandons de reprendre la direction de cette enquête. Nous connaissons les raisons qui vous ont empêché de diriger l’interrogatoire de votre amie Melle Devallois. C’est une bonne décision. Nous vous demandons de continuer de cette façon, il nous apparait préférable que cette demoiselle sente qu’elle ne peut plus compter sur vous. A part cette mise en scène, vous ne quittez pas vos fonctions. Cette enquête semble difficile. Ne vous précipitez pas, prenez le temps qu’il faut pour vérifier et revérifier. Les personnes décédées ont l’éternité pour voir la justice trouver la solution. Nous voulons le ou les vrais coupables. Séchez vos yeux et au travail.
–Merci Messieurs. »
Christa rendit les lunettes à sa propriétaire. Et s’en alla retrouver Quentin.
« Ben non, ils veulent que je continue mes conneries !
–J’en étais sûr. Ils savent bien que tu es la meilleure !
–Rajoute une louche, ça ira mieux !
–Il faut bien que je lèche si je veux de l’avancement.
–Tout dépendra comment tu lècheras ! Faut pas faire n’importe quoi ! En plus, Prunelle peut faire une criminelle tout à fait convenable. Les assassins sont encore plus détestés si ce sont des femmes !
–C’est normal, il faut toujours qu’elles se fassent remarquer. On fait quoi maintenant ?
–On réfléchit.
–A quoi ?
–Comment va-t-on appréhender notre magnétiseur préféré ?
–On va lui demander de venir chercher son véhicule à la fourrière, et on l’attend là-bas.
–Pourquoi pas, allons-y. Manon, veux-tu appeler la fourrière, et passe-moi le responsable dès que tu l’as.
–Ok, je le fais tout de suite. On lui dira que son engin n’est pas conforme au code la route, n’importe quelle connerie pour avoir un motif de le coincer.
–Christa, la fourrière sur la une.
–Allo, Bonjour Monsieur. Le capitaine Zimermann à l’appareil. Pouvez-vous me rendre un service s’il vous plait ?
–Mes respects Capitaine !Si je peux, bien sûr !
–Il s’agit d’appeler le propriétaire du 4x4 Nissan pour qu’il vienne chercher son véhicule tout de suite sinon il y aura un supplément, inventez n’importe quoi.
–C’est impossible capitaine il est venu ce matin le récupérer. Je n’avais pas d’instructions particulières.
–Ah zut ! Comment était-il ?
–Déguisé en Indou, Maharaja ou quelque chose comme ça, avec un turban et un regard bizarre.
–C’est quoi un regard bizarre ?
–Ben c’est un regard qui met mal à l’aise.
–Il vous a payé l’enlèvement ?
–Sans problème.
–Il vous a fait un chèque ? il a payé avec une carte ?
–Non, il a payé en espèces. C’est autorisé, et c’est souvent. Tous ces gens qui n’ont plus de chéquier règlent comme ça.
–Très bien, on s’y est pris trop tard, on s’excuse, et merci quand même !»
Christa pris sa veste et son arme au porte-manteau du bureau, là où elle ne devrait jamais être.
« On y va !
–Où ça ?
–A Flixecourt !
–On ne prévient pas les gendarmes sur place ?
–Tu aurais du déjà le faire !
–Ben voyons. Prends le volant, je vais leur téléphoner. »
Flixecourt est un chef-lieu de canton, dans l’arrondissement d’Amiens. Une petite ville pas très importante, 3200 hab. Semble-t-il, une ville touristiquement sans intérêt, et plutôt moche, mais située dans un cadre exceptionnel. Construite sur les bords de la Nièvre, affluent de la Somme. La commune fut pourtant célèbre grâce aux industries « Saint-Frères » qui développèrent le tissage du Jute, cette nouvelle fibre importée des Indes. La famille « Saint » développa dans cette commune tout ce qui était imaginable à l’époque pour le social des entreprises. Commerces, lotissements, écoles, sports. Une véritable révolution économique.
Les Usines Saint Frères s’implantèrent dans toute la région, et occupèrent dans les années qui suivirent la première guerre mondiale, jusqu’à 15000 ouvriers. Aujourd’hui, la petite ville a bien du mal à survivre, comme toutes les autres de cette région.
La distance fut vite parcourue. Et la voiture de la gendarmerie facilement repérable. Un appel de phares leur fit comprendre qu’ils avaient été vus. Ils démarrèrent et s’arrêtèrent un peu plus loin devant une maison sans originalité particulière, construite en briques rouges comme ses voisines. La première chose qui sautait aux yeux, c’était cette plaque en laiton fixée sur la gauche de la porte. La maison semblait fermée, tous les volets roulants étaient descendus. Ils s’approchèrent toutefois sans crainte et purent lire la plaque déjà décrite par Paul Bertin :


Brahmane Akand Samudrah
Magnétiseur, Guérisseur,
Voyance, Ésotérisme. 

Suivait une autre plaque avec les heures d’ouverture. Christa nota que le cabinet n’était ouvert que l’après-midi de 14 à 19 heures, ce qui paraissait quand même un peu juste, si l’homme ne vivait que de cette activité. Mais c’est l’autre affichette qui lui déplut un maximum.
« Fermeture Annuelle. » Sans date de réouverture ni autres explications. Les gendarmes interrogés parurent surpris, l’un deux affirma timidement:
« Je crois bien me rappeler que c’était ouvert encore hier après midi.
–Nous reprendrons contact vraisemblablement demain, quand j’aurai obtenu une autorisation de perquisition. Nous convoquerons un serrurier, et nous procèderons à une fouille méticuleuse.
–A votre service Capitaine. Prévenez-nous dès que possible. »
Les gendarmes étaient à peine partis, que deux des volets roulants se relevèrent, et la porte s’ouvrit. Dans l’encadrement de la porte se profila soudain une apparition. Numéro de cirque ou chapitre des mille et une nuits, c’était bien un Maharaja ou un Calife qui apparut aux yeux étonnés des policiers.
Grande et fine, la silhouette était richement vêtue de tous les atours de son rang, y compris le turban blanc, soigneusement drapé, et orné d’un bijou éclatant. La veste blanche également descendait jusqu’à mi cuisse, et recouvrait un pantalon blanc plutôt serré. Des liserés dorés bordaient la veste fermée par quantité de boutons nacrés. Mais le plus étonnant était ce masque de satin blanc brodé de fil d’or, qui cachait le visage, ne laissant voir que le regard de l’homme. Christa était prévenue, le regard de l’homme était troublant, fixe, insistant, et la couleur des yeux semblait, à cette distance, inhabituelle. Dans un geste large, qui sans doute était un geste de bienvenue, l’homme signifia que le passage était libre, et qu’ils étaient invités à pénétrer à l’intérieur. L’homme s’effaça pour laisser le passage. Christa franchit la porte. L’homme, de la main fit signe à Quentin qu’il n’était pas autorisé à entrer. Christa hésita, regarda l’homme dans les yeux, et se retourna vers Quentin.
« Ça va ne t’inquiète pas, attends-moi dans la voiture ! »
En passant devant le personnage, Christa fut frappée par le parfum qu’il dégageait. Ce n’était pas de l’encens, ce n’était pas non plus du Chanel, encore moins du Guerlain. Mais c’était curieux, plaisant, voire agréable, peut-être un peu féminin. Cela ressemblait à ce qu’elle avait respiré dans la SLK de Charlie-Rose. Christa emboîta le pas de l’homme qui traversa le vestibule pour pénétrer dans une pièce assez banale qui devait être la salle d’attente. Il traversa cette pièce également et ouvrit une porte matelassée de cuir vert.
La pièce de « consultation », ou le bureau du maître était richement lambrissé. Les meubles étaient judicieusement choisis et d’une facture plutôt rare. Tout cela sentait le luxe de bon goût. Ce n’était pas du tape à l’œil, le bois était du bois, le cuir du cuir, et le Magnétiseur semblait tout droit issu de Calcutta. L’homme se retourna et fit face à Christa. Intriguée, Christa ne pouvait se détacher du regard somptueux qui la regardait de façon amicale. Puis il se mit à parler.
« Je vous attendais Capitaine Zimermann. A vrai dire, je vous attendais plus tôt. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
–Excusez-moi, mais j’ai été retenue. »
Christa ne voulait pas se laisser impressionner. Elle ajouta :
« Le masque est-il absolument indispensable ? Je ne suis pas contagieuse. Et j’aurais quelques tristesses à devoir vous l’ôter moi-même!
–C’est bien le drame des institutions de ce pays. Aucune tolérance envers l’étranger, l’inconnu. La brutalité à l’état primaire. Mais pour vous, Capitaine, je vais faire une exception, c’est un cadeau de bienvenue. »
L’homme se retourna, passa les mains derrière la tête pour ôter une agrafe qui accrochait le masque au turban. Le masque tomba et l’homme fit face à Christa, qui fut frappée de stupeur. Elle resta un moment interdite, contemplant son vis-à-vis. Puis d’un doigt sur la bouche elle lui fit signe de ne pas parler. Christa sortit le micro épinglé au revers de son blouson :
« Ça va Tintin, tu peux rentrer. Ici ça va être long. Et M. Samudrah qui a à faire à Amiens ce soir, me propose de me raccompagner. Rassure-toi, je ne suis pas en danger, tout est clean. « Je n’ai pas froid. » Bonsoir !
Ce qui voulait dire en langage codé, qu’il n’y avait vraiment rien à craindre et que la situation était maîtrisée. Christa reprit sa contemplation, son étonnement ne faiblissait pas.
«Remets-toi ma belle, je vais croire que tu n’es pas heureuse de me voir
–Charlie-Rose ! mon amour !
–Eh bien voilà qui fait plaisir ! Pourquoi n’es-tu pas venue plus tôt pour me dire ces choses là ? »
Charlie-Rose étendit les bras, tourna sur elle-même, et demanda :
« Comment me trouves-tu dans ce vêtement de travail ?
–Très sexy, ça ne m’étonne pas que tu aies autant de succès. Dans mon enquête, tu es apparue à chaque page !
–C’est l’amour sans doute, car je suis amoureusement innocente. Je vais me changer, et après on se met au boulot. Il faut que l’on retourne à Amiens, enfin non. On va passer à Moreuil, puis on ira chez moi. C’est le jour des révélations, accroche-toi !
–Tu m’inquiètes !
–Mais non, ne sois pas inquiète, on est bien toutes les deux Non ? »
Et Charlie-Rose se déshabilla. D’abord le turban qu’elle posa délicatement sur la table. La grande tunique blanche aux cent boutons, s’ouvrit en fait avec une fermeture éclair dissimulée sur le côté de la veste. Les boutons n’étaient là que pour faire beau. Devant l’air surpris de Christa, Charlie-Rose précisa :
« Chaque bouton vaut une petite fortune, de la nacre de Bali ! Alors on les économise. Elle se retrouva torse nu devant Christa bouche bée.
« Je te plais ? Tu vois, être magicien, ça ne fait pas pousser les seins !
–J’adore tes seins, ne change rien !
–J’ai très envie de me faire implanter des prothèses.
–Sûrement pas, tu es très bien comme ça. Avec des gros seins, tu ne serais pas plus sexy. Moi je t’aime comme tu es. Les seins en silicone, je ne supporte pas. »
Et Charlie-Rose continua à se dévêtir pour se retrouver dans un string minuscule, d’une telle finesse qu’il était absolument invisible sous le pantalon. Elle rangea méticuleusement ses vêtements dans un placard que Christa n’avait pas remarqué, tant il était parfaitement dissimulé dans les lambris. Puis elle enfila des collants, mit des talons et se redressa.
« Tu avoueras que tes enquêtes ne sont pas toujours désagréables !
–J’avoue volontiers. »
Puis elle passa une robe serrée qui mit en valeur la finesse de la taille et l’arrondi des hanches qui était incomparable. Elle avait un col Mao et des manches courtes. L’allure était très typique.
« J’y suis presque. Dis donc, le garçon qui t’accompagne, c’est à lui que tu as fait une petite gâterie l’autre jour ?
–Oui, c’est lui, pourquoi ?
–Tu as très bon goût, c’est un très joli garçon.
–Il est très amoureux de moi.
–Il te l’a dit ?
–Oui et non, c’est plutôt que je le ressens comme ça. Il me passe tous mes caprices, et je l’aime beaucoup aussi.
–Tu vas l’épouser ?
–Ce n’est pas à l’ordre du jour et il ne m’a rien demandé. Je sais bien que j’ai trente trois ans, et qu’il faut que je me décide avant d’être une vieille femme.
–Tu as encore le temps. Tu seras belle éternellement voilà je suis prête. Je te plais ? Tu n’as pas honte de sortir avec un travelo ?
– Embrasse-moi et je te suis. »

 

culdecoblanc

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Dim 26 nov 2000 Aucun commentaire