Le blog d'eve anne, Madrid.

 Le Chemin de Badajoz

 3ème Partie

 DOLORES

 

  Dolorès regarda sa montre. Il était 19h30   , elle décida de rebrousser chemin, elle avait besoin de réfléchir, elle devait se préparer moralement à affronter la situation. Au moment où elle fit demi-tour, une cloche tinta, de l’intérieur de l’hôpital, une sonnerie grêle et lugubre, seul signe de vie dans cet endroit sinistre. Dolorès se demanda si ce n’était pas un appel du destin. 
Elle retrouva sa tente au camping de Herrera, s’assit en tailleur à l’entrée de la toile, ferma les yeux, et mit en mouvement au fond d’elle même tous les morceaux du puzzle, tous les indices, tous les détails connus, elle avait confiance, elle était sûre d’être sur la bonne voie. Il lui semblait qu’elle avait en elle tous les éléments de l’énigme. Après avoir mangé un morceau, elle se coucha et s’endormit aussitôt. 
Sa nuit fut agitée, c’est dans une succession de rêves qu’elle commença à reconstituer ce qui vraisemblablement s’était passé :
. . . . . Elle était Teresa, elle se trouvait devant ce vieux château et ces portes immenses qui s’ouvraient en grinçant. Elle était prisonnière. Autour d’elle, des formes noires s’agitaient en tous sens. Elle était terrorisée, elle refusait d’entrer, elle voulait se sauver malgré le froid et la neige, mais deux créatures blanches, aux énormes tentacules, la maintenaient solidement et l’immobilisaient. Elle hurlait, se débattait, les yeux révulsés par la terreur, elle hurlait « Non pas moi, je m’appelle Teresa, Lâchez moi, je vous en prie, laissez moi, au secours, c’est une erreur, je veux téléphoner ! » et les deux gaillards ricanants l’entraînaient irrésistiblement vers l’intérieur du château. Dans la cour entourée de hauts murs crénelés, un immense bûcher brûlait au milieu d’une foule criarde. Teresa luttait à bout de forces. Plus elle avançait vers le feu, plus la foule grondait. Elle s’évanouit quelques instants pour se réveiller en hurlant encore plus fort : « Dolorès au secours !!». Et puis soudain tout se troubla devant ses yeux, elle perdit conscience. Dolorès se réveilla en sursaut, couverte de sueur, complètement terrorisée par le cauchemar qu’elle venait de traverser. Avait elle rêvé ou avait elle communiqué avec Teresa ? Toujours est- il, qu’elle pressentait que Teresa était en vie et qu’elle se trouvait là, derrière ces murailles. Elle se dépêcha de se préparer pour retourner là bas, En chemin, elle retourna mille fois son rêve, « mais tout ça n’explique pas comment elle est arrivée là », mais qu’importe, chaque chose en son temps. 
Elle n’eut aucune difficulté à pénétrer dans l’hôpital.   La porte s’ouvrit au premier coup de sonnette, et à sa requête, une jeune femme toute de blanc vêtue, la conduisit aimablement dans une salle d’attente. Le tout était moderne, propre, entretenu, pas du tout dans le style de l’horrible portail. Elle avait demandé à voir le médecin-chef, la demande fut transmise et satisfaite dans le quart d’heure. 
Une jeune femme en blouse blanche entra dans la pièce, et se présenta : « Sena Montañes, médecin-chef de cet hôpital, que puis-je pour vous ? »
Sena était la contraction du prénom Selena, les espagnols raffolent des diminutifs quelques fois les plus inattendus-   Dolorès se présenta à son tour et s’excusa du dérangement. Elle fit le récit qu’elle avait préparé, tout en dévisageant le médecin-chef. D’une taille identique à la sienne 1.75m environ, brune au teint mat cheveux courts, pas de bijoux, juste un bracelet montre passé dans la boutonnière de la blouse, juste un trait de crayon autour des yeux noirs profonds, l’allure était jeune, je visage fin, un peu masculin, mais il fallait être Dolorès pour noter ce détail. Jolie femme, elle était mince, la poitrine discrète. Sous la blouse, un jean duquel dépassait des bottines genre « Santiag », quasiment identiques à celles que portait Dolorès. Les mains étaient soignées, les ongles courts au vernis transparent. Aux cheveux prés, -Dolorès était blonde avec des reflets roux-, elles avaient la même allure. Sena écouta le récit de Dolorès avec attention. L’air distant du début avait fait place à un visage plus amène presque souriant. Elle aussi avait dévisagé sa vis à vis, et l’image de Dolorès « forcément » lui plaisait. Tout d’abord incrédule, elle fit quelques objections au récit hypothétique de Dolorès. En tout cas aucune Teresa ici ; ça, elle en était sûre. Mais dans sa façon de penser plutôt cartésienne, elle admit que l’inquiétude et les soupçons de Dolorès étaient sinon fondés du moins logiques. A aucun moment elle n’eut l’idée de couper court à la discussion, ni d’éluder les questions.   
« Je ne suis ici que depuis trois mois, et je ne pense pas qu’il y ait dans le personnel quelqu’un qui ait travaillé ici à cette époque, Revenez me voir d’ici deux jours, je vais faire quelques vérifications » avec le sourire, elle prit Dolorès par le bras d’un geste amical et la reconduisit à la porte. Au moment de refermer la porte, elle demanda :  « Vous m’avez dit qu’elle était de votre famille ? » « Non, docteur ; Teresa est ma. . . Novia !» Dolorès avait prononcé ces mots en prenant soin de transformer le passé en présent, tout en plantant ses yeux verts pâles dans le gouffre noir du regard du médecin. Celle ci sourit largement découvrant des dents magnifiques, elle accentua sa pression sur le bras de Dolorès, et doucement elle referma la porte. Dolorès était à la fois satisfaite de l’entretien et à la fois déçue de devoir patienter deux jours encore.   Mais en repensant à la scène, elle sourit à l ‘évocation du médecin-chef ! Aucun doute, elle avait une amie dans la place !
Elle eut l’idée d’appeler Lena, puis se ravisa, inutile de donner de faux espoirs, si tout cela n’était qu’imagination, et puis Lena pouvait tout aussi bien la renvoyer à ses occupations, ça ne serait pas la première fois.  
Les deux jours passés, Dolorès se retrouva en face du médecin-chef, dans son bureau cette fois ; Atmosphère feutrée, jolie pièce, éclairée d’une fenêtre donnant sur un petit parc, inattendu en cet endroit. Seul détail choquant, les barreaux à la fenêtre, visibles malgré le voile de lin blanc. Le mobilier était de style castillan, de bois sombre, très ouvragé, presque lourd.   Rien de médical, rien de féminin non plus. Juste un bouquet de fleurs.  
Le docteur Montañes prit la parole. Voilà ce que j’ai trouvé ; Très peu de chose en vérité, je ne sais pas si nous allons avancer avec ça. . . . .  
« Le 24 décembre 1994, il y a eu un transfert de pensionnaires ; du moins c’est ce que j’ai trouvé dans la « main courante » du gardien. A la suite d’un incendie qui a détruit une aile de l’hôpital de Saragosse, 37 patients on été dirigés ici. Le transfert s’est effectué par autocar. Il est arrivé ici dans la nuit du 24 au 25, à deux heures du matin exactement. Le rapport du gardien précise qu’il n’y avait rien à signaler, que les 37 patients attendus étaient tous arrivés et furent accueillis par l’infirmier en chef Monsieur Carvalho. Le rapport du médecin, le lendemain, précise que les patients ont tous été examinés, et à l’exception d’une violente crise d’épilepsie, tout s’était normalement passé. » Le Rapport précise aussi que cette nuit là, le chauffeur du car est décédé dans son sommeil, d’un accident vasculaire cérébral.   A la suite du rapport, il y avait la liste des noms des malades, que Dolorès parcourût machinalement. Un nom l’interpella cependant : Dolorès Castillo-Perez. Elle pouvait être étonnée, ce nom était le sien, mais c’était un nom très répandu, donc, rien d’anormal. Le docteur Montañes avait poussé son enquête le plus loin possible. Depuis cette date, deux décès étaient à déplorer, mais deux hommes. Cinq entrées : deux hommes et trois femmes, mais très âgées. Pas de sortie, pas de transfert.   Pourtant, Dolorès était persuadée que tout le mystère était là : cet autocar, ce soir là, justement ce soir là, mais enfin, si Teresa avait pris place dans le car, il y aurait eu 38 personnes et non 37 ! Elle en était là de ses réflexions quand subitement elle poussa un cri violent et se mit à sangloter nerveusement. Elle venait de tout comprendre, elle avait tous les éléments, tout était clair, Teresa était là, Teresa était vivante !
Après avoir retrouvé son calme, elle expliqua sa théorie au médecin : «  L’année dernière, dans les eaux du barrage de Sola le cadavre d’une femme a été retrouvé. Cette pauvre femme n’a pas été identifiée. C’est le commissaire Alvarez de la Guardia Civil de Herrera qui s’est occupé de l’enquête. Nul doute que cette femme soit descendue du car à un arrêt de celui ci, nul doute que Teresa soit montée dans le car étant, ce soir là, tombée en panne prés du barrage ! Teresa est ici docteur, Teresa est ici ! » Dolorès ne parlait plus, elle hurlait, sa main serrait le bras du médecin avec une force inattendue. Sena était blême, bien sûr elle avait tout compris, bien sûr que tout se tenait. En un instant, elle évoqua les tonnes d’ennuis qui allaient lui tomber dessus.     

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Jeu 13 sep 2007 Aucun commentaire