Le blog d'eve anne, Madrid.

 Le chemin de Badajoz

 4ème Partie.

 SENA

 

  Sena réussit à persuader Dolorès d’aller se coucher. Elle devait se reposer, et puis Teresa si elle était là, il fallait l’identifier, et puis ça ne pouvait se faire comme ça, il y avait des responsabilités en jeu, il fallait le recours de la police, et cette pauvre femme. . . « Dolorès croyez moi nous reprendrons cela demain, ce sera mieux, tenez, prenez ce cachet, cela vous calmera un peu et vous aidera à dormir. »  Dolorès partie, Sena avait encore du travail. Dans la liste des malades transférés, il n’y avait que sept femmes, dont seulement deux jeunes femmes, il ne serait pas difficile d’identifier Teresa. En fait elle voyait très bien « qui » pouvait être Teresa, puisque l’autre jeune femme recevait quelques fois de la visite. Pauvre Teresa, quelle sombre coïncidence ; elle vivait ici sous le nom de Dolorès, comme son amie, identité plausible de la pauvre femme morte dans ce lac glacé. Sena se fit ouvrir le bureau de l’économat de l’hôpital, et contre toute règle, se mit à chercher les objets personnels de Teresa. Elle les trouva sans peine. Il n’y avait presque rien, une petite chaîne, une bague et un douro, c’est tout. Sena sourit en prenant la chaîne entre ses doigts.   La maille était très belle, en or, un joli bijou, un joli cadeau sans doute ! Ce qui la fit sourire c’est qu’elle était trop longue pour être un bracelet et trop courte pour être un collier. La bague était sombre, en argent oxydé sans doute, large, avec un motif ciselé. Sena eut l’impression d’avoir déjà vu cette bague. La gravure était la représentation de la double vénus, un cercle avec une croix au dessous, superposé à un autre identique.    Tout cela était explicite pour Sena, ces deux bijoux appartenaient à une femme lesbienne. Ces deux bijoux étaient vraisemblablement les présents d’une « novia », une fiancée, en témoignage d’un amour partagé.   A l’intérieur de l’anneau, un nom était gravé : « Dolorès ». C’était vraiment l’engrenage infernal, le nom gravé correspondait à l’identité de la personne, rien de plus normal.   Pauvre Teresa, elle avait hérité d’un nom décidément lourd de conséquence. Puis Sena se rendit au dortoir dans le pavillon des femmes, dans l’un des boxes, Teresa était étendue, endormie.   Son visage squelettique reflétait l’effroi qui ne l’a jamais quittée. Sena s’assit sur le lit sans réveiller l’endormie. Elle réalisa avec stupeur que seuls les traitements médicaux avaient transformé une jeune et jolie femme vivante, amoureuse, en cet être de souffrance de folie et de mort ! Sena ne savait pas comment elle allait pouvoir la ramener à la vie. Sena se mit à pleurer. Puis elle déposa un baiser sur le front de Teresa et sortit sans un bruit.  Le lendemain à la première heure Dolorès arriva.   Sena sans hésiter l’embrassa, Dolorès n’en fut pas choquée. « Elle est ici, je l’ai trouvée, il faut que tu sois forte, tu ne la reconnaîtras pas, elle aura besoin de soins, ce sera très long, il faudra que tu l’aides ! » Ce tutoiement ne dérangea pas Dolorès, c’est courant en Espagne. Sena prit la main de Dolorès et reconnut la bague identique à celle de Teresa. « Tu permets ? »  Et Dolorès lui tendit la bague. Même dessin gravé dessus. Et à l’intérieur ? .   Teresa ! La boucle était bouclée. Sena respira à fond et murmura : « Que dios nos asista » « Vamos ! . . . »  Elles sortirent dans le parc, c’était en fin de matinée, l’air était doux, le soleil se réservait pour l’après midi, la chaleur serait alors insupportable. Le parc était joliment entretenu, une abondance de fleurs d’arbres et de pelouses soigneusement arrosées. Une grille de fer forgé en commandait l’entrée. Des personnes marchaient solitaires dans les allées, tout semblait calme et serein. Assise sur un banc face à la fontaine, les yeux fermés, le visage offert aux rayons du soleil, dans une mystérieuse prière immobile, Teresa était là, minéralisée. Un chat tigré dormait sur ses genoux qu’elle entourait d’une main possessive. Dolorès s’approcha doucement, elle sut garder son sang froid, n’eut aucun recul en voyant le visage cadavérique de celle qui avait été « sa »Teresa. Dolorès à vrai dire, ne reconnût pas Teresa, celle qui était devant elle, était un squelette à peine vivant, deux yeux perdus au fond de deux cavités sombres, deux yeux qui la regardaient s’approcher sans émotion, sans vie, peut être ne voyaient-ils rien de la vie qui continuait à palpiter autour d’elle. Dolorès s’approcha cependant à toucher Teresa. Doucement elle lui prit la main, et passa à son doigt décharné, la bague qu’elle avait ôté de son propre doigt. Teresa la regarda faire et ne se défendit pas. Elle eut le réflexe de tenir la bague pour qu’elle ne glisse pas de son doigt trop maigre. Dolorès prit Teresa dans ses bras et la colla contre elle. Dans un réflexe inattendu Teresa lova son visage contre l’épaule de Dolorès et ne bougea plus. Dolorès lui caressait doucement le cou, à peine recouvert d’une chevelure clairsemée. Dolorès écarta doucement les cheveux et mit en lumière une tâche de naissance en forme de trèfle que Teresa avait derrière l’oreille. Maintenant elle était sûre que Teresa était en vie et qu’elle l’avait retrouvée. Elle écarta doucement la blouse de Teresa, et sur le sein droit évaporé, la petite cicatrice secrète paraissait immense. Sena intervint, « elle a une appendicite aussi », Dolorès savait que maintenant les preuves allaient s’accumuler, elle n’en demandait plus. Elle resta assise sur le banc, des heures durant à caresser Teresa en l’embrassant de temps à autre tout en lui murmurant des mots doux au creux de l’oreille. Teresa resta blottie contre elle. Impossible de savoir si, dans les limbes de son esprit ou de son cœur, du fond de sa souffrance, elle avait reconnu Dolorès. Elle avait en tout cas trouvé un refuge, une chaleur dont elle avait visiblement grand besoin.  Sena ne perdit pas de temps, elle prit toutes les mesures pour commencer le sevrage de Teresa. Elle demanda la visite du commissaire Alvarez, de l’Alcade de la ville.    Elle fit venir l’ordre des médecins. Elle était disposée à assumer toutes les responsabilités qui allaient lui incomber.  Dolorès ne quitta plus Teresa, elle s’installa à l’hôpital dans les appartements de Sena.  Elle téléphona le lendemain à Lena, «Lena! ça y est, je l’ai retrouvée, elle est vivante » et lui donna rendez vous place de la Alcadia de Herrero.   Teresa doucement reprenait vie. Après 6 mois de sevrage sous les soins de Sena, elle avait repris du poids, et quelques fois retrouvait un brin de raison. Par moment elle réclamait Dolorès, qui avait bien sûr repris son travail à Tolède. Dolorès ne venait que le dimanche. Mais tous les jours, au téléphone, elle avait de longues conversations avec Sena, qui lui donnait tous les détails de la convalescence de Teresa.   Elle voyait régulièrement sa sœur, elle adorait Sena qui la couvrait d’attentions.  Et puis, après un an de soins attentifs, elle fit sa première sortie au bras de Dolorès. Elle avait retrouvé sa personnalité, bien que plus mince, elle était redevenue la jolie Teresa jeune femme de 29 ans souriante et heureuse. Rien dans son attitude ni dans ses gestes ne rappelait la terrible épreuve qu’elle venait de traverser. Sa première sortie eut lieu à Badajoz, chez Lena, tout se passa bien. En fin d’après midi Dolorès se disposait à ramener Teresa à l’hôpital. Lena s’approcha d’elle, l’entraîna à part et lui dit : « Dolorès, je voudrais te demander pardon pour tout le mal que j’ai pensé de toi ». Dolorès sourit, visiblement heureuse.  « Tu es pardonnée Lena, embrasse-moi plutôt. . » Lena s’approcha voulut déposer un baiser sur la joue de Dolorès qui tourna le visage à la dernière seconde de telle sorte que le baiser arrivât sur ses lèvres. Lena ne recula pas, au contraire, elle regarda Dolorès dans les yeux et s’approcha encore. Dolorès l’embrassa sur les lèvres, doucement au début, puis ce fut un vrai baiser auquel Lena n’essaya pas de se soustraire. Elle passa ses bras autour du cou de Dolorès et cela dura, dura.   Rougissante, reprenant son souffle elle se tourna vers son mari qui avait malencontreusement assisté à la scène et lui lança d’un ton menaçant : « Et toi, si tu dis un seul mot !. . . » Dolorès éclata de rire, s’approcha d’Antonio, lui fit une petite tape amicale sur une brioche naissante et lui dit :  « Il faut me surveiller ça Toni, sinon Lena va virer sa cuti ! » et elle partit en riant aux éclats.     

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Mer 12 sep 2007 Aucun commentaire