Le blog d'eve anne, Madrid.

 



Autoroute du Nord

Sortie Bapaume.




       Autoroute du Nord, nuit de samedi à dimanche, 2 heures du matin, la chaussée est luisante, la pluie n’arrête pas de tomber, depuis des jours et des jours.
Echangeur de Bapaume, les lumières de la cité toute proche se mêlent aux lumières bleues des gyrophares des ambulances et des voitures de gendarmerie. Les clignotants jaune du Samu, et de puissants projecteurs éclairent une zone d’activité intense. De la fumée , des cris , des ordres jetés , des silhouettes fluorescentes s’agitent dans toutes les directions .Une très forte odeur d’essence s’est répandue, tout se déroule au milieu du bruit infernal des groupes électrogènes et des compresseurs. De l’autre coté du muret central les bolides ralentissent à peine sous l’œil préoccupé des gendarmes trempés.

Au milieu de la scène un enchevêtrement de ferraille dans lequel, parce que l’on reconnaît des roues explosées on distingue au moins deux véhicules ; l’un est rouge, l’autre noir. Les sauveteurs sont arrivés instantanément, de partout à la fois, ballet d’hommes rodés à cette activité, pour la vivre hélas quotidiennement. Devant l’amas insensé de tôle et de métal fumant, le recul a été le premier réflexe, avant de comprendre, et de se décider par où et comment procéder. Le matériel lourd est déjà sur place, et l’on s’apprête à découper la tôle au moyen des puissantes mâchoires hydrauliques. Avec précaution, on ne sait pas encore combien de personnes sont à l’intérieur. Dans un craquement sinistre de tôle broyée, puis après une gerbe d’étincelles étourdissante, la petite main d’un enfant émerge enfin de l’enfer noir. Le bras est hélas séparé du corps de la fillette que l’on parvient à extraire. Les longs cheveux mouillés, de pluie et de sang, dissimulent à peine la plaie béante au milieu du thorax, la petite est morte sur le coup, sans peur, sans un cri. A coté de l’endroit où était la fillette, un autre enfant gît, totalement enserré par la ferraille qui l’a blessé. Exorbité, le visage est complètement lacéré. Le médecin pousse un cri, il respire ! On ne distingue pas encore le reste du corps, on lui injecte une première seringue, on lui pose un masque là où il devrait pouvoir respirer. C’est tout ce que l’on peut faire en attendant la fin de la désincarcération.

 

  Quand après de longues minutes, les hommes parviennent à l’atteindre, c’est pour constater que le bassin est complètement écrasé. Le médecin s’en retourne, le visage déformé par une affreuse grimace de douleur. La femme qui conduisait le véhicule était déjà décédée, le front posé sur ce qui restait du volant faisait un angle bizarre avec les épaules et le reste du corps. Contrairement aux enfants le visage semblait intact, excepté le coup sur la tempe qui prenait une couleur bleuâtre. Elle devait être jolie, trente ans peut-être, pas beaucoup plus. Après l’avoir sortie de la voiture, Celui qui semblait diriger la manœuvre fit un signe au grutier qui enleva la voiture noire et la déposa sur le camion dépanneur garé tout à coté. La voiture rouge, jusque là inaccessible apparut aux yeux des hommes, il semblait n’y avoir qu’une seule personne à l’intérieur. Le médecin poussa un cri : « Il vit ! » Les hommes redoublèrent de prudence, et leurs gestes devinrent plus lents et plus précis. On finit par dégager le conducteur, inconscient, les deux jambes complètement broyées, l’une sectionnée à hauteur de genoux. Après les premiers soins sur le lieu même de l’accident, L’ambulance démarra en direction de Lille, seul Hôpital capable de traiter pareil traumatisme dans la proche région. Sur place , les hommes entreprirent de dégager totalement les lieux , tous les morceaux de ferraille de plastique , de caoutchouc ,furent balayés , la machine après quelques allers et retours avait remis la chaussée en état , plus de traces , il ne s’était rien passé . Les véhicules de police quittèrent les lieux en dernier après avoir rétabli la circulation. Peu après, les voitures reprirent possession de l’autoroute, ignorantes du drame qui venait de s’y dérouler. Le lendemain, dans la presse on put voir une photo très sombre de l’enchevêtrement de ferraille qui dans la nuit avait coûté la vie à une jeune mère et ses deux jeunes enfants. Les gendarmes n’avaient eu aucun mal à identifier les victimes, les véhicules par miracle n’avaient pas brûlé. Ce même jour, une femme pleure douloureusement sur un lit dans une salle de l’hôpital, secouée de sanglots, les médecins ont pratiqué sur elle tous les soins possibles pour qu’elle puisse supporter l’horrible nouvelle. Son mari était dans la salle d’opération depuis douze heures, il allait être amputé des deux jambes. L’opération prît fin, et le chirurgien, vint visiter l’épouse pour la rassurer, autant qu’il était possible de le faire : « Il vivra ! » lui dit il. Puis après une pression amicale sur le poignet de la pauvre femme il partit se reposer, il était vidé, il ne pensait plus à rien, il lui fallait dormir. Deux jours après, on autorisa l’épouse à rendre une première visite à son mari. Celui ci était en salle de réanimation, transformé en momie, des tuyaux raccordés à d’étranges machines. Les yeux étaient ouverts, brillants, plein de larmes, Il fit un effort considérable, et reconnût sa femme elle aussi en pleurs. Il parvint à murmurer : « Je me souviens de rien, qu’est ce qui s’est passé ? » Un énorme sanglot la saisit à la gorge, elle quitta précipitamment la salle, et s’effondra sur le siège dans le couloir. Le journal qu’elle tenait serré dans sa main lui échappa et roula par terre. L’infirmière tout à coté, se baissa, ramassa le journal. Dans un réflexe elle déroula le journal et lut :  « En état d’ivresse il prend l’autoroute à contre sens. Une mère et ses deux enfants sont tués. Privé de ses deux jambes, la vie du chauffard n’est pas menacée. »


 

Écrit par eve anne d’après un article paru dans « La Voix du Nord »






 

Dim 2 sep 2007 Aucun commentaire