Le blog d'eve anne, Madrid.


Soledad..










Elle était moche cette voiture, avec cette inscription, tel un tatouage ridicule à l’arrière « Taxis Lefèbvre » « Longues distances » « Roissy-Compiègne » . C’était une Espace Renault , ce gros machin carré qui , à peine parti était déjà arrêté deux cents mètres plus loin au premier feu rouge . C’était comme une hésitation, cette voiture arrêtée, C’était la dernière chance, soit d’en descendre, soit de courir pour la rattraper. Mais Jane ne bougea pas, et personne n’en descendit. Les yeux pleins de larmes, elle ne distinguait plus nettement le véhicule. Elle le vit repartir, tourner au coin de la rue et disparaître. Axelle lui serrait la main comme pour dire, « ne pleure pas je suis là ». Ce n’était pas la première fois que sa « tata » partait en voyage. Mais Jane bien sûr ne lui avait pas dit que ce départ était le dernier, et qu’il n’y aurait pas de retour. Ainsi va la vie des gens qui assument leurs choix, la vie est unique, il n’est pas toujours écrit qu’une rencontre change forcément la vie, la vie se vit en suivant le chemin décidé. La vie ne change pas toujours de vie. Elle aurait pu l’accompagner à l’aéroport; elle aurait dû, elle était bien allée l’accueillir à son arrivée, mais Jane ne s’en est pas sentie le courage, et Kiss n’a pas insisté. Pendant que le chauffeur chargeait les tonnes de bagages, Elles étaient face à face, elles ne se disaient rien, elles se regardaient, elles se tenaient les mains. Jane ne cherchait pas à retenir ses larmes, Kiss lui souriait tristement, lèvres fermées. C’eut été un sourire de plaisir, la joie aurait éclaté sur ses dents blanches, mais là, Jane découvrit pour la première fois deux petites rides au coin des lèvres qui disparurent dans le flou des yeux qui ne voyaient plus rien. Le chauffeur attendait, indifférent, il en avait vu d’autres ! Kiss était un peu plus grande, elle avait donc les yeux baissés pour regarder Jane, et ses longs cils faisaient comme une ombre sur son regard. C’est à ces détails que Jane repensait dans l’ascenseur en serrant contre elle la petite, qui ne comprenait pas toute cette tristesse : « Elle va revenir quand ? » «  Dans quelques temps, je ne sais pas exactement, elle nous téléphonera ». En refermant la porte de l’appartement, elle respira très fort, un gros sanglot dans la poitrine, et alluma la télé. Elle se laissa tomber sur le canapé, l’écran s’alluma sur la chaîne Odyssée, et sur le sujet : « Découverte : Le Venezuela ». Il y a des coïncidences qui ne pardonnent pas. Kiss était née là bas, elle parlait souvent de son pays avec une douce mélancolie. Elle avait vu le jour à Macanao dans l’île de Margarita qu’elle décrit comme étant le véritable Eden, Pourquoi quitter le jardin d’Eden ? Pour la beauté, la mode, le succès, vivre l’idéal féminin. Kiss a débuté très jeune les concours de beauté, les miss machin, les miss chose, elle n’a manqué aucun de ces concours qui font florès en Amérique du Sud, où les jeunes filles à la ligne parfaite, au teint basané et aux yeux brillants se disputent les titres de reine de beauté. Kiss a fait tout ce parcours, ce qui lui a permis de participer à des défilés de haute couture, faire des photos, des pubs des bouts de film. C’était son rêve d’enfant. A dix huit ans elle était déjà un top-model célèbre en Amérique du sud. En fin d’année dernière, elle a fait le voyage, plus un mois de répétitions, pour décrocher le titre, qu’elle mérite ! Auparavant elle s’était installée à Buenos aires où elle a beaucoup travaillé. Kiss est restée deux ans avec Jane, deux années de passion, deux années d’amours entrecoupées de voyages aux quatre coins du monde. Séparations et retrouvailles, se succédaient, et Jane pensait que cela pouvait durer, qu’il n’y avait pas de raison qu’un jour elle ne revienne plus. C’était sans compter avec l’administration française, qui lui refusa le renouvellement de son permis de travail pour quelques obscures raisons. Kiss ne s’en émut pas pour autant, pour elle, qui passait la moitié de son temps en Boeing, poser sa valise là ou ailleurs n’avait pas grande importance, elle était chez elle partout. Pourtant durant ces deux ans elle était toujours revenue. Jane s’était adaptée à cette vie d’amour en pointillés, elle ne se plaignait de rien. Au bonheur d’être ensemble, succédait l’attente d’être à nouveau ensemble, une remise en question permanente, une nécessité de séduire à chaque retrouvaille pour « assurer » le prochain retour ! Aucune jalousie au cours de ces séparations ne venait troubler la joie des retours. Cela avait commencé il y a deux ans au mois de Mai ; quand, chez Jane, le téléphone sonna, il était près de vingt deux heures . . . . . . . . Hola ! Kaela al habla! Son amie Michèle, alias Kaela, son amie de toujours, installée à Buenos Aires, elles se parlaient en espagnol, vieux souvenirs de jeunesse. « Je t’envoie une jeune femme qui postule pour un contrat chez xxxxx , elle ne parle pas un mot de français , si tu pouvais la récupérer à Roissy Mardi Prochain en début de matinée ? -J’y serai, je la reconnais comment ? -Idiota ! -Vale je me débrouillerai ! -Tu embrasses tout le monde, surtout la niña !» et elle raccrocha ! Conversation brève, professionnelle, comme à l’habitude, merci pour les sentiments, ça va bien merci !

C’est comme ça, ça a toujours été comme ça, Kaela décide, Jane exécute. « Tout le monde » c’est un couple d’amis qu’elles ont en commun. Le jour dit, très tôt le matin à Roissy, après l’incontournable retard, les passagers sortaient un à un par la petite porte des douanes, cela durait depuis près d’une heure, et tout à coup, Jane eut le choc de sa vie, son regard croisa le regard d’une grande fille mince, à la longue chevelure noire, qui poussait difficilement un chariot à bagages qui paraissait horriblement chargé. Il n’y eut aucune hésitation de part et d’autre, elles se sont vues, reconnues, approchées, embrassées comme deux sœurs, et se sont mêlées à la foule des voyageurs. Et c’est comme ça que deux femmes du bout du monde, qui n’avaient aucune raison de se rencontrer une semaine auparavant se sont vues réunies, papotant dés la première minute comme de vieilles amies. Jane était très impressionnée par la beauté de ce jeune mannequin. Elle était plus grande qu ‘elle, 1. 75m peut être plus, et le reste conforme aux canons de la beauté. Une beauté métis, très foncée de peau, des yeux noirs, des cheveux noirs, belle, souriante, un sourire éclatant, une beauté lumineuse. Les deux femmes ne passaient pas inaperçues dans le hall de l’aéroport. Elle préféra venir habiter chez Jane plutôt que d’aller à l’hôtel pour un moment seulement disait elle. Elle aurait tout le temps de visiter Paris. C’était la première fois qu’elle venait en Europe .Le temps passait , Jane l’avait accompagnée pour toutes ses démarches, mais en fait elle parlait à peu près l’anglais, et s’en sortait finalement très bien . Jane eut souvent l’idée qu’en fait, Kaela lui avait envoyé un beau « cadeau », c’était bien dans le style du personnage. Au mois de Juin Jane avait prévu de partir en vacances une semaine ou deux, avant les grandes foules. Elle proposa à Kiss de l’accompagner, Elles partirent toutes les trois par avion en Corse, et prirent des chambres à l’hôtel Napoléon à Ajaccio, (ça ne s’invente pas.) Jane loua une 205 rouge, et commencèrent de magnifiques excursions. La première, ce fut le golfe de Propiano, au sud d’Ajaccio, Plage magnifique, absolument déserte, des rochers à gauche, une anse de sable à droite, une paillote abandonnée. Jane savait, pour bien connaître le lieu, que la baignade y était dangereuse à cause de violents courants. Elle se déshabillèrent sous un soleil déjà très chaud et s’allongèrent sur la plage, topless, Jane avait gardé le slip, n’avait pas « osé » le nu intégral. Les femmes sont bavardes, au lieu de se faire une petite bronzette tranquille, elles se parlaient doucement. Kiss était sur le dos et Jane toute proche appuyée sur un coude la regardait. Machinalement, elle avait pris du sable dans sa main et le laissait couler tel un sablier entre ses doigts. Et puis sans réellement y penser elle fit le geste de tous les amoureux à la plage, elle fit couler le sable sur la poitrine de Kiss, tout doucement, observant le sable ruisseler sur cette forme douce, en un jet soyeux, qui se divisait en deux à la rencontre du téton dressé. Kiss souriait et laissait faire, amusée, Derrière ses lunette noire elle regardait Jane et subitement décida qu’elle était attirante, eut envie de ses lèvres. Ce fut le premier baiser. Bientôt suivi par un autre, puis il y eut quelques caresses timides au début plus appuyées ensuite. Jane se redressa brusquement, Axelle ? La petite fille s’était éloignée d’une dizaine de mètres et discutait sans complexe avec un gamin de son âge, un petit garçon à la peau noire et aux cheveux crépus. Pas très loin, le père du gamin creusait le sable de ses mains. C’est comme ça sur toutes les plages du monde les papas creusent le sable ! Les papas font des trous dans le sable ! L’homme était nu, la musculature finement ciselée, aucun complexe à exhiber sa virilité.

C’était un beau mec. Jane appela Axelle, l’homme s’approcha rassurant, « ne craignez rien je ne la quitte pas des yeux », en fait la petite fille avait trouvé un copain, rien d’autre ne l’intéressait plus. L’homme s’était approché et reluquait du coté de Kiss, sans ménagement, visiblement admiratif. Un peu après c’était un groupe de trois adultes et deux enfants qui s’éclaboussaient dans l’eau fraîche épouvantablement salée. Les femmes s’étaient mises nues sur le coup de midi, ils partagèrent leur pique-nique. Pendant le repas l’homme raconta que sa femme l’avait plaqué sur une aire d’autoroute, près de Lyon, elle était repartie en stop ! L’histoire, traduite à Kiss déclencha le fou rire. Les autres jours, elles visitèrent Sartène, Bonifacio au sud, firent une excursion en Sardaigne à Santa Térésa, achetèrent une paire de « zoccolis » ces mules à semelle de bois qui font un bruit épouvantable sur le carrelage de la Rambla ! Elles remontèrent par Zonza, la forêt le l’Ospédale, Les aiguilles de Bavella, elles firent demi tour pour rentrer à Ajaccio. Tous les jours il y eut une nouvelle destination. Vizzavona Corte. L’escalade du Monte d’Oro leur causa quelques douleurs (ça grimpe !) Du haut de la montagne on découvre la mer tout autour, Par temps clair, le regard porte jusqu’à l’île d’Elbe. Elles visitèrent Porto Calacuccia l’Ile-Rousse Calvi Bastia, et bien d’autres sites. Cela aurait pu durer des semaines, des mois. Elles ne revirent Jamais l’homme noir et son petit garçon.   Le dernier jour, plus de 205, volée, envolée, disparue. Quelques heures gâchées en formalités C’est en vélo de location qu’elles visitèrent Porticcio et les îles sanguinaires.

C’est à ces premières amours que repensait Jane allongée sur son canapé, elle revivait ces instants avec une indicible tendresse. L’émission de télé avait changé depuis longtemps. Kiss était partie, Kiss allait malgré tout changer la vie. Rien ne serait plus comme avant. A cette heure ci, elle devait déjà être dans l’avion, direction Milan. Jane aurait été tentée de suivre Kiss, Si elle avait choisi d’aller à Madrid, ou en Amérique du sud . . . . . . Mais la capitale de la mode, la capitale du bon goût de l’esthétisme, la capitale de la beauté c’est aujourd’hui incontestablement Milan! Elle avait donc choisi Milan. Porque te vas? Buena suerte guapita ! Il reste la solitude. La solitude est un plat qui se mange seul La solitude est difficile à vivre, Jane le savait, Jane la craignait, La solitude fait peur. La solitude est une sorte de tare: elle a un subtil parfum de tristesse, quelque chose qui n'attire, ni n'intéresse personne, et on en a un peu honte( Elizabeth Badinter.) Il reste le travail, heureusement, et toutes ces choses à faire , laissées à l’état de projets faute de temps et de disponibilité d’esprit . Il reste les associations délaissées quelque peu Il reste le soleil, le ciel bleu, la forêt qu’elle aimait découvrir, Il reste une jolie petite fille à élever, et toutes ces choses à lui apprendre, et lui dire. . . .  Elle appela Axelle, « Viens, viens me faire un câlin . . . . . . . . .  »




 

Ven 31 aoû 2007 Aucun commentaire