Le blog d'eve anne, Madrid.

Folleville 

  Tout à coté du lieu dit « La Pierre aux Fées » à quelques pas du vieux château, à la lisière du grand bois qui bordait jadis le village de Folleville, elle vivait dans une pauvre chaumière.« La Vieille Dame », C’est ainsi qu’on l’appelait aux alentours, vivait en recluse  et ne sortait que le soir venu .On la craignait. On l’évitait .Elle possédait dit-on, des pouvoirs surnaturels : « Elle jette des sorts, elle mène les loups les nuits de pleine lune » C’est ce que l’on chuchotait, de peur d’être entendu de La Vielle Dame.
Mais, on lui prêtait également d’autres pouvoirs, elle n’avait pas son pareil pour combattre la fièvre. De bon matin elle vous faisait marcher dans l’herbe d’un pré, cueillant par-ci quelques poignées d’herbes, les jetant par-là, derrière, sans se retourner. La pratique était efficace, autant que celle qui consistait à guérir les maux de ventre en prenant à jeun une infusion  de la deuxième pelure du sureau qu’elle avait cueilli à la nouvelle lune en récitant une prière aux saints Côme et Damien. On lui offrait des présents pour ses interventions, mais aussi pour obtenir ses bonnes grâces, Il valait mieux, semble t-il, être bien avec elle. Un beau matin, sortant du cimetière, on l’avait aperçue accompagnée d’une fillette malingre. Devant l’air ô combien étonné de la populace elle avait déclaré : « C’est mon enfant !» Les commentaires allèrent bon train, On s’était posé mille questions, les suppositions les plus sataniques avaient été imaginées, mais nul n’avait osé lui demander plus d’explications.Comme personne ne connaissait le nom de la petite, et que personne n’osât jamais le lui demander, on la surnomma « Aneseau » par le fait sans doute qu’elle allait puiser l’eau avec l’âne de la Vieille Dame. On perpétuait ainsi en bon Picard la tradition ancestrale des surnoms, et des blasons. La fillette grandit avec bonheur. Comme jamais elle ne mettait les pieds à l’église, on considéra qu’elle aussi devait être un peu sorcière, et posséder quelques mystérieux pouvoirs. Elle avait de qui tenir, la bougresse! Certains affirmaient qu’elle avait le don d’ubiquité et qu’on l’avait aperçue au même moment en des endroits différents du village et de la forêt. D’autres affirmaient qu’il lui poussait des ailes pour se déplacer aussi vite d’un bout à l’autre de la contrée.
Au fil du temps, elle devint très belle, d’une fascinante beauté, à la tournure quasiment irréelle. Elle restait cependant sauvage, passant ses journées dans les champs ensoleillés ou dans l’ombre des bois, savourant la fraîcheur des ramures, bondissant avec légèreté au dessus des ruisseaux, chantant ou conversant avec les oiseaux…..
Sa réputation eût tôt fait de tourner en sa défaveur, elle était l’objet de toutes les jalousies féminines et devint vite elle-même une ensorceleuse.
Malheur aux hommes qui croisaient son chemin ! Ils tombaient immédiatement sous son charme, leur vie devenait alors un enfer, jusqu’à en mourir d’amour. Beaucoup, l’apercevant au loin, s’enfuyaient, d’autres au contraire sans doute plus téméraires, eurent le courage de l’approcher, de la regarder, n’en croyant pas leurs yeux de tant de beauté, de délicatesse, de candeur et de finesse dans le regard pastel de la pucelle.
Aussitôt ils succombaient ! Fous d’amour, d’un amour qui n’était jamais payé en retour. Certains tombèrent dans une profonde léthargie. L’un d’entre-eux alla jusqu’à mettre fin à sa pauvre vie, dans un lieu d’ailleurs prédestiné puisqu’on l’appelait « Le Corroir du Pendu 

Le 14 Juillet 1880, deux évènements importants vont se succéder. Le premier instaure pour la première fois la date du 14 Juillet comme fête Nationale. Voté par Jules Grévy le 6 précédent, Cette nouvelle loi rencontre une vive oposition. Ce sera pourtant un succès populaire indéniable. Le beau temps du mois de juillet favorise tout d’abord les festivités en plein air. Grâce à ses rites qui prennent place sur la voie publique (retraite aux flambeaux, défilés, bals, inaugurations de statues, etc.), la République reprend à l’Eglise un espace que celle-ci investissait avec ses processions, et offre au peuple une fête dont il est un acteur, contrairement aux fêtes monarchiques et impériales. La mâtinée est dévolue aux officiels. Par les discours, les inaugurations et les défilés militaires, la République exprime sa force et exalte son passé, ses vertus et les principes taillés aux frontons de ses édifices. Elle réquisitionne pour ce faire la participation du clergé (pour faire sonner les cloches) et de l’armée qui, malgré les convictions monarchistes d’une partie de ses officiers, va bientôt fournir le « clou » du spectacle officiel avec son traditionnel défilé.

Le même jour, c'est l'arrivée à Folleville, petit village de la Somme, d'une jeune femme de la capitale, Alida, qui venait tout juste d'avoir 25 ans. Artiste peintre reconnue et lasse de la vie mondaine, elle décida de séjourner à la campagne, au calme, pour y exercer son art. C'est sur Folleville qu'elle jeta son dévolu, et qu'elle s'installa pour  travailler. On lui avait vanté le calme de ce village, les ruines empreintes de mystère du vieux château médiéval, les ciels ennuagés et romantiques de Picardie, le climat, bien que rude, épatant pour sa santé. De plus le village avait le privilège de ne pas être trop loin de Paris, situé près de la route fréquentée par les chasses marées. Elle prit penson dans la seule auberge du lieu : « L’auberge du vieux Castel» , seule auberge du village, où, magré la rudesse des clients habitués, on ne lui manqua jamais de respect

Dès le lendemain, rassemblant son matériel, palettes et chevalets, elle s’engagea sur le chemin qui partait vers le couchant, en direction de « La Faloise » village voisin à une lieue d’ici. S’arrêtant en un site qui lui semblât propice, elle se mit à peindre, sans se soucier du temps qui passait. La journée s’écoula rapidement, concentrée sur sa toile et sa palette. Elle eût à plusieurs reprises l’impression d'être l’observée, mais n’y prêta pas plus d’attention que cela. Une jeune femme solitaire pratiquant l’art de peindre était une curiosité rare en campagne, mais elle en avait l’habitude. Le soir même, alors qu’elle dînait dans la salle de l’auberge, le patron lui demanda si elle n’avait pas aperçu une jeune fille. « Pourquoi cette question ? » lui répondit l’artiste ? Et l’aubergiste, en veine de confidences, lui raconta à voix basse, les rumeurs qui couraient sur « l’ensorceleuse ». Elle partit en éclats de rire. » Des histoires à dormir debout ! Je ne vois pas en quoi je serais concernée, et je n’ai qu’un seul amour: l’art de la peinture » - « Prenez garde tout de même ! » La jeune femme répondit d’un haussement d’épaule aux conseils du tenancier.
Dans la semaine qui suivit alors qu’elle travaillait dans la forêt de l’Étang de Vidame, elle eut toujours cette sensation d’être surveillée. Une fois seulement elle aperçut une ombre furtive. Intriguée cependant, mais nullement apeurée, elle décida d’en avoir le cœur net. L’après midi du dimanche elle partit après le déjeuner, et profitant du beau soleil et de la douceur de l’air, elle fit mine, à quelque distance du village, après s’être adossée au talus, de s’assoupir sous les branches de l’églantier. Elle ferma les yeux, inclina le visage et attendit….Un bruissement l’avertit d’une présence, un souffle à peine, mais n'en ressentit pas le vent. Elle patienta quelques minutes encore puis soudainement ouvrit les yeux  et découvrit penchée sur elle le visage d’une jeune fille d’une extraordinaire beauté. Surprise, la jeune fille n’eût cette fois-ci pas le temps de s’esquiver. Un sourire éclaira son visage apportant ainsi encore plus de lumière à cette beauté limpide. Elle recula de quelque pas comme pour se faire admirer. En artiste qu’elle était, Alida ne pouvait rester insensible au tableau qui était devant ses yeux, la belle était dans le plus simple appareil, appuyée à la pierre levée, ses cheveux blonds sur les épaules, c’était une vision totalement inattendue sous cette petite ramure. Mais ne l’avait on pas prévenue ?  Elle lui rendit son sourire sans avoir besoin de se forcer. 

« Est-ce toi qu’on appelle « Aneseau » ?
« Qui te l’a dit ? - Aucune importance je le sais »
« Eh bien moi je sais qui tu es. Je t’ai suivie toute la semaine, je t’ai regardé peindre, et j’aime beaucoup ce que tu as fait..

-Tu aimes ou tu aimes beaucoup ? -J’aime, et j’aimerais que tu me donnes un tableau ! Celui que tu as peint près de  la fontaine, là, tout à coté, c’est mon coin préféré, je viens de m’y baigner! -Et que me donneras-tu en échange ? -Rien ! Je n’ai rien à donner ! » Dit-elle en détournant la tête tristement. « Si dit la jeune femme, tu peux me donner un baiser. Un tableau contre un baiser ! -Tu es folle ! Tu serais bien la première à qui je donnerais un baiser !  Adieu » et elle disparut avec une rapidité déconcertante. La jeune femme demeura un instant songeuse, pourquoi avait elle dit ça ? C’était stupide ! Oui stupide, il est vrai, mais c’était spontané, elle avait vraiment eu envie de ce baiser. Vraiment....... Doucement, elle se leva et retourna lentement à l’auberge, troublée…..beaucoup plus qu’elle ne l’aurait avoué. Et de la nuit elle ne put fermer l’œil, incapable d’oublier, ne serait-ce qu’un instant, l’image obsédante de la jeune fille penchée sur elle, cette nudité lumineuse, cette apparition miraculeuse.  Ainsi les villageois avaient raison, elle aussi était tombée sous le charme. C’est avec précipitation qu’elle repartit dès le lendemain matin pour peindre, avec pour seule idée de revoir Aneseau, espérant qu’elle lui aurait pardonné son audace. Elle avait sous le bras la petite toile peinte au bord de la fontaine, et de toute façon, baiser ou pas baiser, elle lui offrirait le tableau. Elle voulait lui offrir, de toutes ses forces, de toute son âme lui offrir ce qu’elle avait créé sans le savoir, pour elle. De cela elle en était sûre. Elle s’installa, déploya son chevalet, ses pinceaux, ses pastels, mais le cœur n’y était pas, aucune inspiration, une seule pensée la tourmentait, la jeune fille, son regard vert pâle comme les eaux de la fontaine, ses lèvres roses comme les nuages du matin, ses cheveux blonds comme le soleil, sa jeune poitrine pointant sous l’étoffe légère, et sa taille aussi fine que le foulard qui l'enroulait.. Deux petites mains se posèrent tout à coup devant ses yeux ! Malgré le silence elle ne l’avait pas entendu s’approcher « Qui est-ce ? demanda une petite voix rieuse » Elle était derrière elle, ses petits seins collés contre ses épaules, c’était une brûlure. Elle desserra les mains, aperçut le tableau de la fontaine posé sur le sol. « C’est pour moi ? Tu l’as amené pour moi ? »  L’émotion perçait dans sa voix… « C’est pour toi, oui, bien sûr » dit elle en se retournant « Mon dieu que tu es belle !! » « Tu veux toujours un baiser ? » C’est elle qui avait prononcé ces mots, Alida n’en crut pas ses oreilles. Elle n’eût pas à répondre, Aneseau lui sauta au cou avec fougue et l’embrassa, petit baiser sur la joue, puis se reprenant colla ses lèvres aux lèvres d'Alida. Les jours suivants elles se revirent des heures entières, personne ne savait, personne ne se doutait. Au bord de la fontaine quelques curieux auraient pu découvrir quelques vêtements épars... Surprendre quelques soupirs..... Quand la jeune fille traversait le village chaque soir, elle était méconnaissable, elle paraissait étrangement sereine, les yeux dans le vague, comme en extase…..Et elle souriait……ensorcelée………….

Et puis, par une belle matinée d’été, Alida l’Artiste peintre, boucla son bagage et déclara que son travail était fini. Sans attendre, elle repartit pour Paris. Le Jour même, Aneseau disparut, Jamais plus on ne la revit…   Avec le temps, les langues se délièrent. On chuchotait, on détournait la tête quand on voyait passer « La Vieille Dame ». Certains disaient que l’artiste peintre pour se libérer du charme –car on était sûr qu’à trop fréquenter la forêt, elle aussi avait dû succomber- la femme ensorcelée avait tué la belle. D’autres affirmèrent (c’était l’avis de l’Abbé Martin, Chanoine de Moreuil) que dans le péché, il lui était arrivé malheur et que le diable l’avait rappelée à lui. Mais quelques uns pensèrent humblement, sans oser toutefois l’avouer, qu’à son tour, l’amour les avait touchées et que tout simplement, toutes les deux, elles étaient parties .............   Allez donc savoir…….





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Mer 25 jui 2007 1 commentaire

C'est une très jolie histoire bien racontée qui mêle l'érotisme à la vie d'autrefois, à ses croyances et traditions. J'aime bien quand une situation érotique est enracinée dans un contexte géographique ou historique très précis. Ophélie

Ophélie Conan - le 14/04/2010 à 16h12

Merci, je suis heureuse que cela t'ai plu, J'espère que tu en aimeras d'autres.

Il y a plus de 1000 pages d'histoires originales  dans ce site.

Bises Ophélie!

eve anne