Le blog d'eve anne, Madrid.

                              

 

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V-Michèle
 

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On revient de sa jeunesse comme d'un pays étranger.

[ La maison de Bernarda Alba ]
Federico Garcia Lorca

 

                                             Mes premières véritables vacances. J'avais rêvé toute ma jeunesse de partir un jour en Andalousie. J'étais loin de m'imaginer les circonstances dans lesquelles se déroulerait mon rêve. J'aurais été seule, ou en compagnie d'autres jeunes de mon âge, j'aurais sûrement attaché beaucoup d'importance à ce pays tellement étonnant. Un voyage de deux jours de train, plus ou moins bien  climatisé enfin pour ce qui concernait la partie France. Par contre, dans le Talgo, la température montait régulièrement. Mais c'est à l'arrivée à Màlaga que la chaleur étouffante me prit à la gorge. Je savais que j'allais trouver une chaleur intense avec un rayonnement solaire intenable. Ce fut pire que je ne l'avais imaginé. L'air était suffocant, et la lumière aveuglante. J'étais sûre de ne pas résister dans un endroit pareil. Michèle quant à elle, paraissait ne pas souffrir de ce changement soudain.
« Tu vas t'habituer très vite, et ensuite tu aimeras. » Sans doute avait-elle raison. D'autant plus que dans la ville, la foule ne semblait pas indisposée le moins du monde.
Nous allons aller chez mes parents, et nous prendrons la clef de la casita.
Indépendamment de cet inconvénient climatique, je savourais malgré tout le plaisir d'être avec elle. Nous avions passé une nuit dans le train, sommeillant l'une contre l'autre, dans un compartiment bien rempli. Nous n'osions pas laisser aller nos besoins de caresses. Déjà, le regard de certains voyageurs était quelque peu méprisant.
On ne peut pas dire que l'accueil de la famille fut des plus enthousiastes. Quand Michèle est entrée, le plaisir de la revoir fut réel et démonstratif. L'ambiance tomba de suite quand ils me virent entrer derrière elle. Les regards de réprobation de la maman me dévisagèrent des pieds à la tête. La jeune sœur de Michèle esquissa un sourire timide. Peut être imagina-t-elle qu'on lui apportait une nouvelle amie ?
« Tu ne fais pas les présentations ? 
- Bien sûr que si ; Voici eve anne, l'une de mes élèves au lycée, sûrement la plus douée, sa maman est Madrilène. Nous sommes très amies ». Je pensais que prononcer le qualificatif de "Madrilène" à Màlaga, n'était pas forcément une bonne idée, mais cela n'avait finalement pas grande importance.
Le haussement d'épaules de la maman me laissa penser qu'elle n'ignorait rien des tendances de sa fille, et qu'elle désaprouvait totalement.
« Et ton mari, il n'est pas venu ? Il te laisse venir avec une gamine ?
- Tu sais bien qu'il ne vient jamais » Bref la discussion fut plus que décousue et je me sentais mal à l'aise.
Je préférais sortir et affronter la chaleur. Josefina la jeune sœur vint me rejoindre tout de suite et prit place à côté de moi sur le banc sous le murier.
« Je m'appelle Fina, Tu parles espagnol ?
- Oui, j'essaie, ma mère est Castillane.
-C'est bien, nous pourrons  nous amuser » Fina ne semblait pas avoir tout compris. Pourtant elle était plus âgée que moi, et devait pouvoir comprendre notre situation. Michèle ressortit avec les clefs de la maison.
On s'y rendit en taxi. Il nous laissa à l'embouchure d'une venelle bordée de petites maisons blanches aux grilles de fer forgé serrées les unes contre les autres. Le sol était carrelé, et l'ombre de la rue semblait un havre de fraicheur. Des géraniums coloraient les fenêtres, c'était très « carte postale ». Je fus frappée par l'épaisseur des murs en entrant par une porte de bois peinte en bleu foncé. La maison était fraîche, et la décoration rustique et de bon goût.
On ne prit pas la peine de défaire nos bagages, on se jeta sur le lit, un grand lit avec des montants de bois sculptés. Je pensais que peut être nous allions passer nos vacances sur ce lit. Je n'aurais pas dit non.
Je me trompais. Michèle avait décidé de me faire connaître son pays d'origine. Elle était née assez loin d'ici, mais avait vécu toute sa jeunesse à Màlaga. Nous passions les journées en visites en baignades, en bronzette.Je m'étais habituée à la chaleur, et je n'avais plus le corps luisant de sueur. Michèle m'emmena sur une plage de naturistes. J'ai adoré cet endroit. Etre nues toutes les deux sous ce soleil brûlant fut ma plus belle découverte. L'eau de la mer devait être chaude, mais elle paraissait très froide à notre peau ensoleillée. Après trois jours, nous étions déjà très colorées.
On réservait nos matinées aux visites, et après une sieste amoureuse, on finissait la journée sur la plage.
Je découvris Torremolinos, Benalmadena, et la déjà célèbre Marbella.
Je découvris avec stupéfaction la beauté de Grenade et de Séville. J'ai aimé aussi Rhonda et Antequera, et tant d'autres dont les noms se sont mélangés dans ma tête.
Dans la famille, l'ambiance s'était détendue, et l'on m'avait acceptée finalement assez rapidement. Le père de Michèle, lui, avait tout de suite remarqué mon décolleté, et ne cachait pas son intérêt. Michèle n'en parut pas étonnée: "Il est complètement obsédé" me confia-t-elle.
Ce furent trois semaines d'un intense bonheur. Vivre  en couple, dans cette maison fraîche et sombre, au plafond bas, rayé de poutres noires, était une sensation de bonheur, inimaginable quelques jours avant.
J'allais de surprises en surprises. Par exemple cette nuit que nous avons passée dans un « tablao » de flamenco de Malaga. C'était un lieu très Andalou, sans enseigne racoleuse, il n'y avait pas de touristes. Une nuit qui ne me lassa pas un seul instant. Fina était avec nous, elle s'était habituée à nous voir nous prendre la main, et nous surprit plusieurs fois enlacées. Elle avait enfin compris, et nous regardait en souriant d'un air complice.
Ce soir là, Michèle avait consommé le cocktail de bienvenue, moi je l'avais refusé. C'est la première fois que je la voyais boire une boisson alcoolisée. C'était peut être la cause de l'excitation qui la fit monter sur la petite scène, et danser avec les autres femmes, qui ne furent même pas surprises. Cela faisait sans doute partie du jeu. De la voir danser ainsi, me coupa le souffle. Cette danse est avant tout très suggestive, et les jambes des danseuses découvertes quelque fois très haut, font l'admiration des spectateurs. C'était prémédité, j'avais été étonnée de voir Michèle s'habiller d'une jupe longue à volants très couleur locale. Je pensais qu'elle voulait simplement redevenir pour un temps l'Andalouse de tradition.
Quand elle dansa en solo devant les autres assises sur leurs chaises de bois, la façon qu'elle avait de remonter sa jupe et de découvrir ses cuisses, dans un tourbillon de volants colorés, provoqua quelques remous dans la salle. Si je n'avais pas été amoureuse, je crois que je le serais devenue. Fina battait des mains de cette façon bizarre à contre temps. Elle souriait, elle était admirative. Michèle me revint après avoir été relayée par d'autres filles. Elle fut applaudie, je l'embrassai devant tout le monde. Personne n'en parut offusqué.
Ainsi passèrent nos trois semaines andalouses. Je n'avais pas oublié de téléphoner quotidiennement à ma maman qui ne tarissait pas de questions.
Ce fut le départ, et après des adieux interminables et  d'incontournables recommandations, le train nous emmena vers Barcelona. Là aussi, j'en pris plein les yeux. Quelle ville magnifique, quelle vie, une activité incessante, de jour comme de nuit. On y resta deux jours, et je me serais bien habituée à cette vie trépidante, à ces Ramblas, ces ruelles "chaudes",  aux restaurants de la Barcelonetta (disparus aujourd'hui). Tout n'était que découverte et bien sûr étonnement. Le soir du second jour on embarqua sur un ferry qui nous conduisit à Ibiza en quelques heures. Nous fîmes toute la traversée assises dans un coin du pont avant, à demi cachées par un incroyable enchevêtrement d'objets divers.
On ne fut pas dérangées, et la fraîcheur de la nuit marine nous donna plus de raisons de nous rapprocher. Les mots doux échangés, étaient engloutis par le bruit de la vague d'étrave, et le ronronnement du bateau. J'aurais voulu que cela ne finisse jamais.
On arriva à Ibiza très tôt le matin, escortés d'une compagnie de dauphins, et nous eûmes à peine le temps de réembarquer pour Formentera.
Formentera fut sûrement l'endroit qui marqua le plus notre relation. Les paysages sauvages, la lumière, la chaleur, le vent, la tranquillité. C'est une île de petite taille. Si petite que l'on a fait plusieurs fois le tour à vélo, (quand il n'y avait pas de vent). Michèle, qui avait planifié nos vacances à la minute près, (c'est sa façon d'être) nous avait loué un studio dans un petit hôtel de La Mola.  Comparé à Malaga, c'était tout le contraire. Très peu de monde, très peu de bars, pas de discothèques, (ça a bien changé depuis) très peu de tout, en vérité, sauf de plages de sable fin. On avait l'impression d'être seules sur une île déserte. Sur la plage de Mitjorn, la plus longue et la plus au sud, le couple voisin était à plus de cent mètres. Et quelques fois, C'était pratique et discret. Les gens étaient nus, comme nous, et les couples homo étaient la majorité. Il fallait aller à Es Pujols, vers le nord pour trouver des plages plus familiales. Nous avons passé sur cette plage battue par le vent des jours merveilleux. Nous étions ensemble, isolées du monde, et l'on ne s'en lassait pas. Sentiment de liberté totale, de paradis sur terre, j'avais l'impression que ça ne finirait pas, et que plus tard, nous viendrions vivre là.
Nous avions acheté un « coupe vent » ce bout de toile à rayures avec trois piquets, pour nous protéger un peu, notre plage préférée était la plus éventée. A l'abri de cette frêle protection, on pouvait s'entendre parler. Michèle, allongée sur le dos, tellement bronzée, avec des reflets rouges et bleu du paravent était une véritable merveille à contempler, et je ne m'en privais pas. Je la caressais avec douceur, sa jolie poitrine attirait mes lèvres, et cela semblait lui faire beaucoup d'effet. 
« Fais-moi l'amour » me dit-elle. 
- Ici ? Mais on pourrait nous voir ! 
- Et alors? Fais-moi l'amour tout de suite ! » Je n'eus pas besoin de me forcer. Tant elle était belle et attirante. Et puis finalement, on ne fut pas dérangées. Il me semblait que sur cette île, le respect de la liberté des autres était universellement répandu. La scène se reproduisit presque tous les jours, mais quelques fois j'étais  demandeuse.
On se levait tôt le matin pour profiter de la fraîcheur, des couleurs du ciel, et d'une mer d'huile. Le matin il n'y avait jamais le moindre souffle de vent. On profitait de ces quelques heures précieuses pour faire du vélo, du footing, et de la natation. Nous sommes allées avec le club local faire quelques plongées au pied des falaises. C'était magnifique. Nous sommes restées  trois semaines dans l'île de Formentera. De quoi se couper du monde, et de perdre toutes les notions de la vie courante. Comment pourra-t-on vivre avec la trèpidation urbaine, le froid, la pluie, la circulation, les odeurs de gas-oil, les bus, les trains, les camions ? Comment pourrais-je vivre sans respirer à chaque instant le parfum de sa peau gorgée de soleil, le goût du sel sur le bout de ses seins, et cette lumière intense reflétée dans ses prunelles andalouses ?
Nous avons fait connaissance de Fatima, superbe Maghrébine, barmaid du seul bar de l'endroit. Je voyais bien l'intérêt qu'elle portait à Michèle. Cette fille très belle de corps, devait être très désirable pour qui la contemplait. Pour moi, je n'avais pas envie, Michèle ne sembla pas remarquer les avances de Fatima, Pourtant, quand elle venait avec nous à la plage et qu'elle était nue, c'était quand même joli à voir. Puis elle s'est lassée sans doute, on ne l'a pas revue.
La fin de notre séjour était proche, mais le mot « départ » était implicitement tabou, il ne fut jamais prononcé. Le moment venu, les valises furent faites, et l'on se retrouva sur le quai de la Savina par un beau soleil matinal, sans avoir évoqué le moins du monde notre départ.
Sur le Ferry « Majorca », enlacées contre le bastingage, je regardais s'éloigner cette côte avec quelques larmes que je n'essayais même pas de dissimuler. Je pensais que ces drôles d'oiseaux huppés que l'on nourrissait tous les matins, allaient nous regretter. De Formentera, les communications téléphoniques étaient plus difficiles, et cela faisait longtemps que je n'avais pas téléphoné à ma maman. Ce que je fis à Barcelone dans une cabine de Sants Estacio. Elle était inquiète, et fut très heureuse d'avoir de mes nouvelles.

Il y eut, quelques temps après, un moment difficile. Ce fut atroce quand le taxi me laissa devant la porte de ma maison, et qu'il emporta Michèle pour son immeuble. Je croyais que j'allais mourir. C'est dans cet état que maman me récupéra sur le trottoir, au bord de l'évanouissement. Ma mère mit cette indisposition sur les fatigues du voyage.



Je ne sais pas si elle a masqué volontairement la vérité.

 

 

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Dim 17 jun 2007 1 commentaire

C'est très beau! Magnifique. J'adore, j'en ai les larmes aux yeux...

Ophélie Conan - le 15/05/2010 à 10h49

Alors tu aimeras encore plus la suite. baisers tendres.

eve anne