Le blog d'eve anne, Madrid.

                              

 

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LI-Les Doutes
 

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Elle marche déjà sur la pointe des pieds
de son absence.

Alain Borne 

               
                                           Quand la jolie Pandore ouvrit la boîte mystérieuse, elle libéra tous les maux de l’humanité : La vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la misère, la folie, le vice, la tromperie, la passion, ainsi que l’espérance. Elle se rendit compte de son erreur trop tard, et voulut refermer le couvercle. Seule l’espérance, plus lente à réagir y resta enfermée.
Et dans ce deuxième semestre 2001, c’est bien de l’espérance dont j’aurais eu besoin. J’aurais espéré avoir des nouvelles de Marie-Noëlle. Je m’étais faite à l’idée qu’elle était avec quelqu’un, mais pourquoi m’imposer ce silence inutile et destructeur ? J’étais sûre qu’elle ne m’avait pas pardonné Lorena. C’était la femme de trop, celle dont elle avait estimé qu’elle pouvait être sa rivale. Si elle pensait que j’aurais pu ne plus l’aimer, c’est qu’elle ne m’aimait plus elle-même. L’espérance se recroquevilla un peu plus au fond de la boîte quand Kiss vint m’apprendre qu’elle changeait d’employeur, et qu’elle partait pour Milan. Je m’y étais préparée, forcément, mais ce fut un désespoir total. Au moment où, professionnellement j’étais au faîte de ma réussite, j’étais la plus malheureuse des femmes.
Je fis appel à Patricia. Elle seule pouvait faire quelque chose pour moi. Je ne lui demandai rien d’autres que d’essuyer mes larmes, pour que je puisse tirer un trait sur tous ces malheurs, qui, à la réflexion n’en étaient pas vraiment. Marie-No m’avait quittée? Ça faisait déjà longtemps, et j’avais, depuis aimé des hommes et des femmes. Kiss était partie ? Je le savais, c’était écrit, une fille de 18 ans plus jeune, d’une telle beauté, il m’était impossible de la mettre en cage. C’est dans ce sens que Patricia voulut transformer mes sentiments, et elle usa de tous ses moyens pour me redonner goût à la vie. En me redonnant le goût de ses seins, une fois de plus elle me remit les idées en place. La cure dura sûrement plus longtemps que nécessaire, mais je n’allais pas m’en plaindre. Petit à petit, je compris que je ne reverrai plus Marie-No, et qu’il fallait que je souhaite à la "Venezolana" la meilleure réussite. Et je gardai pour moi, et pour encore quelques temps, le corps sublime de Patricia.
Maud n’était pas très contente. Elle voulait avant tout ma guérison, alors elle attendit que l’envie me passe. Ce qui ne tarda pas, avec la séduction dont elle jouait à merveille, elle me ramena petit à petit entre ses seins, où je retrouvai mes marques préférées. Une fois de plus, je repris le cours de mes affaires. Je pouvais me permettre ce genre de fantaisie, « mes filles » étaient là pour assumer ce que je ne pouvais plus.
« Tu n’as pas trente huit ans, tu ne vas pas nous lâcher ? » Ainsi s’exprimait Linda, la plus jeune et la plus vieille de mes amies. Je n’avais pas encore 38 ans, mais je n’en étais pas loin. D’ici un mois ce serait homologué. Je me jetai à corps perdu dans la création d’une école de mannequins. Je me rendis compte, que je remettais le doigt dans le métier duquel je m’étais sauvée il y avait 25 ans. Dès que l’on prononce le nom d’école, on entre dans un système, une mélasse dont on ne sait plus sortir. Heureusement, je m’en rendis compte très vite. Et je changeai mon fusil d’épaule, j’allais créer une « agence de mannequins » supplémentaire. Et là, il n’y eut plus aucuns problèmes majeurs. Cette agence fournirait sa production à « La Lorena » et aussi à XXX .Je m’attelai donc à ce travail difficile et périlleux, que de créer quelque chose en France. Le moral me revenait peu à peu. J’avais revu Simone, J’étais retournée voir « Kellermann » Je me demandais parfois si je portais l’étiquette France II ou France III. Toujours est-il qu’elle était toujours aussi séduisante et aussi experte dans les arts amoureux. J’avais reçu quelque fois Linda chez moi, et la petite Laurie l’accompagna un week end de pur bonheur. Je ne sais pas pourquoi je dis la petite Laurie, parce que c’était une grande fille comme sa sœur, aussi agréable dans l’amour que son aînée. Je passai une année d’intense activité. Du côté « La Lorena », nous eûmes de bons résultats et des renouvellements de contrats assez facilement. Les nouveaux clients étaient plus difficiles à persuader, on sentait nettement un ralentissement d’activité. Il fallut apprendre la sobriété dans nos prestations. Claudine sut parfaitement se plier à ces nouvelles exigences. C’est l’époque où l’on commençait à sentir l’influence d’internet dans les marchés de la vente par correspondance. C’était un problème. On se promit de passer l’année suivante à étudier ce problème, et peut être à changer complètement notre façon de vendre.
 Axelle avait neuf ans maintenant, c’était une grande et belle fille, dont la ressemblance avec son père était troublante. On ne pouvait pas m’accuser d’avoir fait cette enfant là, avec le facteur. On passa l’été 2002 en Espagne, à Sitges, là où l’on trouvait sûrement la plus grande concentration d’homos au mètre carré. Il n’y avait pas que des « Têtus ». Il y avait beaucoup de filles aussi, et Maud vécut là bas les vacances les plus libertines de sa vie. Elle consomma à elle seule, plus d’une fille par jour. Et moi en plus. Puis on se dirigea à nouveau vers la fin d’année, vers mes 39 ans.
Un matin de soleil gelé ; C’était le 13 décembre 2002. Le vendredi 13. Nous étions en discussion avec Claudine, sur le plateau. La gamine de l’accueil vint me chercher.
« Il y a deux messieurs et une dame qui vous demandent.
—Qui sont-ils ?
—Je ne sais pas.
—Et tu es payée pour quoi ? Pour savoir ou ne pas savoir ? Demander le nom d’un visiteur, et le noter, c’est trop difficile pour toi ? Accompagne-les dans mon bureau. Tu sauras faire ça ? Dis leurs que j’arrive.
Puis, soudain, j’eus comme un frisson glacial. Je serrai le bras de Claudine et lui dis « Viens, viens avec moi. » Dans le bureau, debout devant le mur de verre, il y avait deux hommes et une femme qui regardaient l’animation du boulevard. Quand je refermai la porte, ils se retournèrent d’un même mouvement. Je vis tout d’abord Guillemette, toute de noir vêtue, et avec elle, le Colonel et le Général. Contrairement à mon habitude, je ne tombai pas dans les pommes. Je me cramponnai au bras de Claudine, et je fixai Guillemette qui pleurait en silence. Le soleil, au travers de la vitre, illuminait ses cheveux blonds. Sa ressemblance avec Marie-No me fit l’effet d’une flèche en plein cœur. Le colonel se précipita avant que mes ongles ne lacèrent le bras de Claudine.
« Assied toi eve anne. Sois courageuse. . . .
Le Capitaine Duval à trouvé la mort en service… Nous lui rendrons les honneurs qu’il mérite.
Le Général est venu en ami, partager ta douleur et celle de sa maman.
Conduis-toi en officier. Comme tu as toujours su le faire. 
Je ne pleurai pas. Où aurais-je bien pu trouver des larmes ? J’étais simplement pétrifiée. Je me sentais rigide, je ressentais des douleurs violentes dans les mâchoires, tétanisées pour ne pas hurler. Les officiers eurent la patience d’attendre que me revienne un peu de vie. Claudine pleurait dans les bras de son mari. Je vis Linda caresser le visage et les cheveux de Guillemette. Le Général vint vers moi, et me reçut contre sa poitrine, ce qui, sans doute m’empêcha de tomber. Je sais que ce n’était pas une attitude protocolaire, mais je mesurai sans pouvoir réagir, la bonté de cet homme, et l’affection qu’il avait pour moi. Je réussis à reprendre un peu de dignité.
« Pardonnez-moi Général.
—Elle est tombée dans une embuscade avec deux de ses hommes. C’était Mercredi ; Il y avait une émeute à Nouméa. Elle a reçu l’ordre de se rendre sur place pour évaluer la situation, ils ont tiré à la rocket. Elle n’a eu aucune chance. L’appareil s’est écrasé. J’imaginai la scène et je baissai la tête. Il y avait une erreur flagrante de commandement. Je regardai le général dans les yeux, avec étonnement. Il comprit ma pensée.
—Oui, on en reparlera » Je me dirigeai vers Guillemette. Elle était courageuse, elle avait sans doute épuisé ses larmes, elle aussi.
« Le corps sera rapatrié mardi. Les honneurs militaires lui seront rendus Jeudi, à Villacoublay et l’inhumation se fera Samedi 21 à Dijon-Chenôve, après une messe à la cathédrale Saint Bénigne. Le jour de mon anniversaire. C’est une date maudite. Lorena renvoya tous les gens, et ferma l’agence. Il ne resta que mes proches, celles qui connaissaient Marie-Noëlle et notre histoire. Lorena prévint Maud, Rosine prévint Jocelyne. Les deux officiers repartirent, et Guillemette resta avec nous. Lorena proposa de nous reconduire à Compiègne.
« En attendant Puce, fais nous monter du café, s'il te plait. Rosine prendra ta voiture, et on te ramène à Compiègne, on reviendra par le train. En attendant repose-toi. Nous savons toutes que tu ne pourras plus jamais aimer autant que tu as aimé Marie-No. .......
Elle connaissait les risques qu’elle prenait, et s’il t’a semblé qu’elle se détachait de toi, c’était pour que le chagrin soit moindre s’il lui arrivait malheur. C’était le secret qu’elle m’avait confié. Elle n’a jamais cessé un seul instant de t’aimer. Elle voulait que je t’aide à l’oublier, ce que je n’ai pas essayé de faire bien entendu. Elle n’a jamais pris ombrage de l’amour que tu nous donnais. Elle disait que tu étais une fontaine d’amour, et qu’il y en avait trop pour elle seule. Maintenant, il faut que tu penses à toi, il faut que tu vives. Tout ce que tu nous as donné, nous te le devons, et nous te rendrons heureuse. On n’essaiera pas de te faire oublier, on partagera simplement ton mal. Et tu dois vivre pour ta fille et pour nous, tes amies pour l’éternité. » La  gamine du bas arriva avec le plateau et le café. Lorena alla chercher son violon, et alla se placer tout au bout de la pièce, dans le dernier rayon de soleil. Elle se mit à jouer « La méditation de Thaïs » c’était une musique qui semblait avoir été crée pour le timbre de son violon. Elle excellait dans les aigus, sans user du vibrato. C’était une musique qui nous amenait la paix et le repos. Lorena était devenue l’animal Alpha de notre groupe. Elle était devenue la plus forte, après avoir été proche de la destruction. Elle nous démontrait que l’on pouvait venir à bout de tous les malheurs, si seulement on pouvait mettre sa main dans une autre. Cette musique nous collait à la peau : Thaïs était la courtisane dévouée à la déesse Vénus. C’était Marie-Noëlle, c’était moi, Lorena, nous toutes, qui aimions la féminité par-dessus tout. Je ne vis pas le temps passer. Je restais prostrée, essayant de mettre mes pensées, les unes au bout des autres. Lorena continuait son concert, et sa musique nous transportait près d’elle, là haut, tout près de Vénus. C’est parce qu’elle décida d’arrêter de jouer que je pus sortir de ma torpeur. Linda m’apporta mon manteau, et après les avoir toutes embrassées, nous sommes parties toutes les quatre. Pour reconduire guillemette au train. Et moi dans la voiture, j’avais dans les yeux, le cauchemar que j’avais fait à plusieurs reprises, de cet hélicoptère tournoyant dans une gerbe de feu. Son commandement l’avait envoyée à la mort. C’était une faute inexcusable. Dans nos exercices de combat, je répétais sans cesse à Marie-Noëlle, « Ne jamais arriver là où l’on t’attend. Ne jamais y aller seule. Sur le terrain, il n’y a pas d’action individuelle possible. Et dernier conseil, celui là m’appartenait en propre : toujours tirer en premier. Après on peut toujours se justifier parce qu’on est encore vivant. » Le commandement de Nouméa n’avait pas dû faire l’école de guerre. Ou peut être ne savait-il pas qu’une émeute est avant tout un guet apens ? Tous les CRS savent ça par cœur, depuis Mai 68 : On met le feu à une bagnole, et quand les flics arrivent, on les tire comme des lapins. Tout le monde sait ça ? Non, il reste quelques ignares qui ont un commandement et qui ne le savent pas. Celui là, je le tuerai ! Je retrouvais Maud sur mon lit, complètement lessivée. Elle avait le visage défait, elle avait en quelques heures pris Vingt ans. Patricia était là, elle rangeait sa serviette, elle avait dû pratiquer quelque chose, une piqûre, un anti dépresseur… Je me jetais dans ses bras et la serrai le plus fort que je pus. Patricia intervint :
« Laisse là respirer. Calme-toi. Donne-moi ton épaule. Et sans que j’ai pu réagir, elle m’avait injecté je ne sais quelle mixture. Cela me fit du bien, quelques instants plus tard, j’avais retrouvé ma lucidité. Odile vint nous embrasser.
« Reposez vous, je vous prépare le souper. Je fais le lit pour toi Lorena et pour toi Rosine. Vous repartirez demain. Demain vous ne travaillez pas, vous aurez plus de temps. Patricia intervint en s’adressant à Maud. Tu resteras avec eve anne. Tant que Marie-Noëlle sera dans votre cœur, elle restera vivante. Dites vous qu’elle est loin, qu’elle pense à vous, et qu’elle vous aime. La soupe d’Odile et les mots apaisants de Patricia nous apportèrent le réconfort dont nous avions besoin. Dehors, il commençait à neiger. Le lendemain, Puce appela au téléphone.
« Je viens d’avoir la visite d’Isabelle, la secrétaire du Colonel Dumas. Elle m’a apporté un uniforme pour toi, le Général souhaiterait que tu sois en uniforme pour les honneurs militaires. Si ça ne te dérange pas, je viens cet après midi pour te l’apporter et faire les retouches..
—Un uniforme ?
—Oui, un tailleur Bleu-marine avec un manteau et un bibi. Il y a aussi les galons. Elle conseille des bottines noires. A hauts talons. Elle me charge de t’embrasser, et te fait dire qu’elle sera avec toi à Villacoublay. C’est pour être au plus près d’elle, sinon, les civils seront à cent mètres.
—Ok j’ai compris. Je t’attends. Au N°34 Square Eugénie tu te souviens ?
—Non.
—Ce n’est pas grave. Sois prudente. » En réalité, les deux filles décidèrent de rester le week end avec moi. C’était sympa de leur part. Maud rentrerait chez elle le soir, elle ne pouvait pas abandonner totalement son homme, qui m’avait gentiment téléphoné pour me présenter ses condoléances. Elle reviendrait dans la journée.
Dans l’après midi, c’est Luigi qui vint pour m’embrasser. Il resta un bon moment avec nous. Et ce fut un moment agréable. Il savait plaire aux filles sans être la caricature habituelle de l’homo. Luigi était un beau mec, et il pouvait être heureux, il était avec trois femmes qui l’adoraient. Sa visite fut une diversion salutaire. Il en profita pour nous dire la satisfaction d’Armand de travailler avec nous. Nous étions aussi très contentes de lui. C’était un Luigi bis. Luigi sut nous parler de Marie-No sans tristesse. Il nous dit l’immense bonheur qu’il avait eu de pouvoir l’aimer, comme il nous avait aimées toutes les trois. Quand il en parlait, le bonheur éclairait son visage, et la tristesse n’était plus de mise. Il nous quitta en nous assurant qu’il serait à Dijon pour les obsèques.
Puce arriva dans le courant de l’après midi. On fit les essayages, et il n’y eut que très peu de retouches. Libérer un peu les pinces de la poitrine, et resserrer un peu celles de la taille. Sinon, le tailleur était de qualité, d’une coupe récente. Les filles furent impressionnées de me voir ainsi vêtue avec mes quatre barrettes sur chaque épaule. Et j’attendais la question. « C’est quoi un Commandant ?
—Dans le génie de l’air on appelle ça un chef de bataillon c'est-à-dire que dans une brigade il peut y avoir plusieurs bataillons d’environ cinq cents hommes, qui sont divisés en compagnies de Cent cinquante hommes, elles même divisées en sections, d’une cinquantaine de soldats. Il peut y avoir des commandants sans commandement, ceux qui travaillent dans les états-majors par exemple. J’ai eu à faire à un Commandant de cette espèce » Et je racontai mes problèmes avec le Commandant X à Versailles, et la rencontre qui s’en suivit avec le Général. J’étais venue au secours de Marie-Noëlle, qui, parce qu’elle était homosexuelle,
« ne méritait pas » d’être dans l’armée. Ce connard, ne savait pas qu’elle pouvait mourir pour son pays tout comme les autres. Si je n’avais pas réussi à le faire virer, je l’aurais tué tout comme je tuerai celui qui a envoyé Marie-No au casse pipe par bêtise. Les filles parurent intimidées de ma résolution.
« Ne vous faites pas de bile. Quand le moment sera venu, il faudra que ce criminel paie sa faute. Il a quand même fait tuer trois de ses hommes.» D’ailleurs, le Général et les Colonels, savent très bien que c’est à ça que je pense, et que j’en suis tout à fait capable.
—Tu serais capable de tuer cet homme de sang froid ?
—La question ne se pose pas..
—Ça ne te rendra pas Marie-No ?
—Je le sais, ça évitera qu’une autre Marie-No se fasse tuer pour rien. »
—Vu comme ça !
—Quand il y a des morts dans un conflit, c’est une guerre. Et les guerres il faut que quelqu’un les fasses. Jeudi, je mettrai cet uniforme, et je ne le mettrai pas seulement pour faire beau. » Mes paroles eurent pour effet de refroidir un peu l’atmosphère. Mais je n’en avais rien à cirer. Je savais deux choses. Un, que les militaires ne servaient à rien dans l’esprit de la majorité des gens, et deux, que la moitié au moins des officiers étaient des ânes bâtés. Dans la disposition d’esprit où je me trouvais, j’avais besoin de parler, et peut être aussi de justifier le choix que Marie-Noëlle avait fait d’épouser ce métier. Elles ne savaient pas non plus comment nous nous étions connues, engagées. Les pelotons que l’on avait fait, l’école d’officier, comment Marie-No fut agressée, durant un exercice. Elles ne savaient pas comment nous avions connu nos maris, militaires comme nous. Finalement, elles ne connaissaient rien de nous. eve anne aimait Marie-No, et Marie-No aimait eve anne. Et tout le reste n’était qu’une brume opaque dans l’esprit de ces demoiselles. Nous avions une histoire, c’était nos mille et une nuits. Et de cette histoire, tous ces garçons qui avaient servis sous nos ordres avec respect et discipline, pouvaient en témoigner. Et ce régiment entier qui avait mis la main à la poche pour offrir ce superbe vélo en cadeau de mariage à Marie-Noëlle? Et notre mariage, avec la prise d’armes de son régiment, et la musique militaire qui s’était déplacée sous les ordres du Général pour Marie-Noëlle; Ou encore cette fabuleuse attitude de Marie Noëlle, dans son fourreau blanc, et son décolleté vertigineux, quand la musique jouait « Auprès de ma blonde » ! Nous avons vécu plusieurs vies. Nous avons vécu des moments d’une telle intensité…Et Marie-Noëlle voulait encore vivre cette intensité. C’est pour ça qu’il n’est pas acceptable que toute une vie aussi riche, soit sacrifiée par un connard.
Coup de sonnette à l’entrée, c’était Jane. Elle arriva toute surprise de voir autant de monde dans l’appartement.
« C’est Maud qui m’a prévenue. Je viens te présenter mes condoléances. J’aimais beaucoup Marie-Noëlle. C’était une fille bien. Elle n’était pas comme toi.
—Si c’est pour me dire ça ?
—Ne te fâche pas, présente moi plutôt tes copines.
—Ce sont mes collègues de travail. Lorena, Rosine, et Josépha que tu connais.
—Enchantée. Tu as prévenu ton ex ?
—Non, je ne vois pas pourquoi je l’aurais fait.
—Pauvre Marie-No. C’est à cause de toi tout ça ! Ta puce est à côté ? Je vais l’embrasser. Salut ! »
« Excusez là, elle est comme ça. C'est la reine des connes. » Puce se prépara à repartir. Je la regardai poser le tailleur sur un cintre, je l’aimais bien. C’était une belle femme, modeste, élégante, adroite. Et très fidèle. Le temps n’avait aucune prise sur elle. Je savais qu’elle faisait beaucoup de sport pour garder sa superbe allure. Mais elle n’en parlait jamais. Elle était homo bien sur, mais elle ne draguait pas. Si on la draguait, elle ne disait jamais non. C’était la version de Simone. A vrai dire, j’ignorais tout de sa vie. On l’embrassa à tour de rôle, et on la regarda partir dans sa grosse Audi noire.
Le Jeudi matin, il faisait très froid. La cérémonie se déroula dans un des grands hangars de la base, qui avait été vidé de ses appareils pour la circonstance. J’avais rejoint les officiers à l’Etat Major. Je ne connaissais plus personne. Isabelle vint à ma rencontre, en uniforme elle aussi. Je remarquai qu’elle avait toujours le même grade. Puis elle me conduisit vers le Général, Le Colonel Dumas, et le Lieutenant Colonel Ducrocq, Henri, qui me serra dans ses bras. Les autres officiers me saluèrent, comme si j’étais un personnage important. Les cercueils étaient encore à bord de l’hélicoptère de transport de troupes qui était garé sur le tarmac. Il y avait de la neige fondante un peu partout. On monta dans les voitures, et on partit en file indienne vers le hangar. Il y avait à peine un km. Les détachements militaires étaient stationnés, alignés au carré. Je reconnus les armes du Génie de l’Air. Sur le côté, la musique de la deuxième région aérienne. On descendit des voitures. Et regroupés en face de la musique, on attendit. Le hangar était tellement vaste, qu’un mât avait pu être dressé. Le drapeau était en berne. Il n’y avait aucun souffle de vent pour le faire onduler.
La Musique entama « Les Dragons de Noailles », alors que les trois véhicules de commandement arrivaient chargés des cercueils. Ceux-ci furent déchargés, et alignés devant le drapeau. Et moi je fredonnais cette chanson que nous avions chantée cent fois pour les exercices de défilés:

 Ils ont traversé le Rhin ;
avec monsieur de Turenne.
Au son des fifres et tambourins,
ils ont traversé le Rhin.

 Lon lon la, laissez les passer,
Les Français reprennent la Lorraine.
Lon lon la, laissez les passer
ils ont eu du mal assez. 


Le cercueil de Marie Noëlle était au centre. Une main anonyme avait déposé sur le drapeau, un œillet rouge. Le Général vint se placer face aux cercueils. Le Colonel me prit la main pour me placer à sa droite. Le Colonel se plaça à sa gauche. Et le Colonel Ducrocq se plaça à ma droite. Je me demandai si cette cérémonie contribuerait à faire accepter l’homosexualité dans l’armée. Je n’étais là que parce que nous nous aimions d’un amour fou, dont l’armée avait été témoin en l’acceptant sans équivoque. Je savais que la treizième compagnie était là, quelque part, et que dans les civils là bas, des ex soldats venaient rendre hommage à celle qu’ils avaient sûrement aimée en secret. Puis la musique se tût. Et le silence se fit. Je fixais l’œillet rouge, qui était sur le blanc du drapeau, juste au-dessus de son visage. Que restait-il de son visage, de son si beau visage ? Rien, sûrement rien. Je ne sentais pas sa présence, je ne ressentais aucune onde, je n’étais pas partie prenante de cette cérémonie. J’avais froid, je pensai simplement que c’était le froid de la mort, qui ne la quitterait plus pour l’éternité. Je savais que sa vraie place était en moi. J’avais dans les yeux la beauté infinie de ses formes, la douceur de son regard, ses lèvres entre ouvertes réclamant les baisers. Sa beauté illuminera ma vie de l intérieur. Et dans mon cœur, elle ne vieillira jamais. Les musiques s’enchaînaient, puis je reconnus ce morceau bizarre joué entièrement avec les percussions. Une voiture arriva, et le ministre des armées descendit et vint se recueillir devant les cercueils. Puis il dit quelques mots au nom du président de la république, et un officier lui présenta les coussins sur lesquels trois médailles de la légion d’honneur étaient épinglées. La musique joua la Marseillaise. Je revoyais le Colonel Dumas, troublé par le contact de la poitrine de Marie-No le jour de notre mariage, quand il lui avait épinglé la médaille du 25 ème BGA. C’est comme ça que je sus, qu’avec Marie-Noëlle, il y avait un sous lieutenant et un caporal. Beau résultat. Pendant que nous étions là, le salopard de Colonel de Nouméa devait être en train de se taper une kanake vérolée dans un boxon de la ville! Puis le ministre se dirigea vers Guillemette qui était là pas loin, et que je n’avais pas vue. Il lui dit trois mots et l’embrassa. Puis il vint vers le Général, l’entraîna à l’écart, et pendant qu’ils discutaient, les sonneries aux morts retentirent. C’était la fin de la cérémonie. On attendit que le Général finisse sa conversation. Et je sentis dans la mienne la main d’Isabelle. On regagna les bâtiments de l’état major. On nous servit des boissons chaudes. Isabelle eut quelques mots réconfortants. Elle n’avait pas tellement changée. Je lui posais la question sur son avancement. Elle me dit qu’elle avait refusé pour rester près de « lui ». Le Général nous fit venir près de lui pour Nous dire : « Le ministre vient de me faire savoir que le lieutenant colonel XY venait d’être mis aux arrêts de rigueurs et qu’on allait le rapatrier pour le soumettre à l’enquête diligentée par « le Tribunal aux Armées de Paris » Puis il prit Isabelle par les épaules, et moi par le bras, on fit quelques pas, puis avec un triste sourire, il me dit :
« Nous nous sommes toujours croisés pour des problèmes difficiles.
Celui d’aujourd’hui, l’est particulièrement. Je souhaiterais très sincèrement que l’on se retrouve dans des moments plus sereins, nous avons des choses à nous dire, vous avez des choses à vous dire, et ne serait-ce que pour une fois, être ensemble au soleil. Maintenant, eve anne, je sais exactement à quoi vous pensez. Et je ne vous critique pas. Je sais que vous en auriez le courage. Mais ce n’est pas la solution de l’armée, à laquelle vous appartenez toujours. Laissez les juges faire leur travail. 
—Je vous comprends Général, mais il doit y avoir à Nouméa comme ici, des gens capables d’analyser ce qui s’est passé, et de comprendre qu’il ya eu faute de commandement ?
—Sûrement, mais il faut respecter la loi, et vous le savez, vous l’avez prouvé. »



Je pensai quand même qu’il eût été plus simple de m’envoyer là bas, pour "enquêter".

 

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tn Ombrages D 

Jeu 3 mai 2007 1 commentaire

"Je savais que sa vraie place était en moi....Sa beauté illuminera ma vie de l'intérieur. Et dans mon coeur, elle ne vieillira jamais."

La mort de votre aimée m'a choquée et fait sangloter.

La beauté et la passion de vos mots pour elle sont le plus bel hommage que vous rendez à votre éternel amour... le seul et unique qui donnait son sens à votre vie et se complétait de vos autres aventures, qui vous a motivée pour créer votre agence extraordinaire, et sans qui elle n'avait plus lieu d'être...

Votre histoire me laisse bouleversée, tant vos mots font vivre et ressentir sentiments, plaisirs et douleur...

Je vous embrasse eve anne

Ondine - le 17/01/2013 à 04h16

L'écriture après quelques années adoucit les sentiments, leur donne une couleur plus accessible. La réalité de ces moments-là, fut insupportable . Heureusement, le temps guérit à sa façon, les plaies les plus vives.Jje suis heureuse que vous soyez en phase avec ces relations.

eve anne